Le Major #18

Dossier L’IA, on en fait quoi ?

L’intelligence artificielle peut-elle rémedier à la solitude ?

Photo du film « Her », de Spike Jonze © Warner Bros

relais. On peut penser au film Her , de Spike Jonze. Un homme achète une mise à jour dotée d’une puissante I.A. pour le système d’exploitation de son ordinateur. Au fil de la discussion, elle comprend sa solitude et lui propose des solutions appropriées, c’est-à-dire des rendez-vous avec d’authentiques humaines. Mais peu à peu, le protagoniste s’éprend de la voix de l’as- sistante virtuelle elle-même. L’I.A. pourrait-elle à ce point se substituer aux personnes ? Les êtres intro- vertis ont-ils ainsi la ressource de se tourner vers des représentations humanisées et neutres ? Par analogie, lorsque nos élèves se tournent massi- vement vers les I.A. génératives, sont-ils seulement

Appeler un soir de Noël SOS Détresse Amitié, et tomber sur Thérèse ou sur Pierre pour tenter de sortir de la solitude ? On connaît le célèbre «c’est cela, oui» par lequel Pierre ponctue, imperturbablement et mécaniquement, les aveux les plus désespérés de la personne au bout du fil. Réplique dérisoire qui simule une empathie, cette phrase se contente de renvoyer aux énoncés d’une plainte jamais prise en compte, de faire écho aux ressentis confiés par un malheureux à un correspondant qu’il ne connaît pas.

en recherche de contenu ou de co-présence ? On pourrait penser à quelque chose comme la recherche d’un objet transitionnel au sens de Winnicott. Le chat qui s’installe sur le bureau ne fait pas l’affaire. Et pas non plus le confident d’autrefois qui entend sans écouter. Devant le devoir à faire, on est seul, comme le gardien de but au moment du penalty. Avec l’I.A., on est deux. Il ne s’agirait pas seulement d’une quête de contenu, le contenant lui-même serait visé comme alter ego neutre et approbateur qui pourrait remédier à la grande angoisse de l’incertitude. Ceci ressemblerait à de l’altérité. Mais ne serait pas de l’altérité.

L a solitude a pris une ampleur plus impressionnante encore, à mesure que croissait le nombre de corres- pondants, qu’on peut joindre et rejoindre, sur les réseaux sociaux. Plus ils sont nombreux, moins ils comptent, plus leur importance est diluée. Et il y a une réticence, chez les personnes introverties, à demander de l’aide. D’où, à un moment, la fortune des sites de rencontre, apparemment anonymes, dont les moteurs de recherche affinaient les profils et permettaient de réunir les esseulés. Ces remèdes à la solitude, désor-

Article transdisciplinaire

de Véronique Bonnet professeur de philosophie- culture générale et Grégory Chadufau professeur de

mathématiques, en CPGE au lycée Janson de Sailly

Pas de heurts À l’heure actuelle, l’I.A., outil docile qui se prête à toutes les attentes, ne peut, contrairement à nous, professeurs, dissuader un élève qui voudrait seule- ment empiler le maximum d’illustrations sans les comprendre, pour une colle ou une dissertation, sur un mode purement cumulatif. L’I.A. ne peut rejeter un

mais quasiment obsolètes, consistaient donc à passer par une I.A. pour chercher l’âme sœur. Maintenant, on demande à l’I.A. d’être l’âme sœur. Toujours encouragé(s) L’écoute bienveillante et amoureuse qui donne un sens à notre vie fait ainsi l’objet d’une prise de

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n°18 Mai 2025

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