Finances News Hebdo N° 1099

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CULTURE

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 9 MARS 2023

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F.N.H. : Vous avez retracé en une centaine de pages les expériences douloureuses dont vous avez eu connaissance par la lecture, mais surtout par l’observation… K. A. : Il faut dire que c’est une combinai- son de tout ce que j'ai vu, lu et entendu. Le roman contient mes rencontres et les expériences que j'avais relatées dans la presse. F.N.H. : Tes protagonistes appa- raissent tels des personnages désaccordés. Ils affichent un moi social, tout en conformisme, et ils couvent un moi profond, révol- té, jaloux de sa liberté, indomp- table…. K. A. : Dans la société dans laquelle nous évoluons, la schizophrénie bienséante est de mise. Nous sommes souvent ce que nous ne paraissons pas. Mes protago- nistes sont évidemment contre toutes les formes d’aliénation, contre tous les obscurantismes, contre tous les confor- mismes, mais se font absorber par le système. Quand d’autres tirent bénéfice, elles, elles en sont écœurées. F.N.H. : Votre livre a-t-il suscité des réactions de lectrices ? K. A. : Le livre retrace un chapitre de la vie de plusieurs personnages fémi- nins. L’énorme conquête qu’elles vont faire d’elles-mêmes, est précédée d’une longue, joyeuse et douloureuse quête de liberté. Parmi les échos que j’ai reçus, il y a une chose intéressante à laquelle je n’avais pas du tout conscience pendant la phase de gestation du livre : alors que le roman est parsemé de douleurs, d’inter- rogations, d’angoisses intenses, les lec- teurs.trices en sortent enthousiastes. Ils/ elles vivent bien le parcours escarpé des «filles du cactus», et souvent s’identifient à celles-ci. L’une d’elles m’a dit : «C’est ma vie», et elle a ajouté : «Vous m’avez mis un miroir en face des yeux». Une autre m’a certifié que l’histoire de l’une des 4 filles était strictement la sienne. Beaucoup de femmes se sont reconnues dans les personnages. F.N.H. : A quelle étape de l’éla- boration de ce roman avez-vous pensé au titre ? K. A. : Le titre est le dernier à avoir émer- gé. Il s’était imposé à moi d’une manière très forte parce que «Assabar (Cactus)» fait allusion à «Assabr (patience)». Donc,

besoin de se libérer, une autre victime de trahison… Et si le Hirak du Rif apparaît à plusieurs reprises dans le roman, c’est parce que les événements de l’histoire se passent dans la ville d’El Hoceima pen- dant les contestations dudit mouvement. La question de l’héritage constitue l’élé- ment déclencheur de l’histoire. Comme dans d'autres pays qui adoptent la charia, la loi sur l'héritage empêche la femme d'entasser le moindre argent et biens. Lorsqu'une femme est issue d'un milieu pauvre, l'accès au capital est une question de vie ou de mort. F.N.H. : Vous adoptez une manière d’écriture convulsive, comme s’il y avait un état d’urgence. Comme si vous étiez mue par une hâte à dire, un besoin impérieux de témoigner… K. A. : J’avais envie de transmettre une réflexion qui m’a toujours hantée… Il s’agit donc d’une réflexion qui scrute l’intime des gens. On ne peut la restituer que si l’on puise dans ses ressources intimes. Par égard aux sujets traités, j’y ai mis mes tripes. Adopter un regard distancié aurait été inconvenant.

l’appellation est une sorte de comparai- son ou de parallélisme avec le cactus qui peut survivre sans irrigation. Et comme cette plante qui pousse et peut survivre dans les pires conditions sans se faner, «Banat Assabar (les filles du cactus)» sont patientes et capables de se proté- ger comme le cactus se protège avec ses épines… Ce titre n’avait pas eu l’aval de l’éditeur, qui lui a préféré autre chose. Au final, nous avons gardé «Banat Assabar». F.N.H. : Maintenant, parlez-nous un peu de votre dernier roman « », paru en 2021... K. A. : C’est l’histoire d’un jeune couple marocain (Iman et Khaled) qui a déci- dé de vivre à Istanbul pour changer de vie. Là-bas, malgré leurs espoirs et leurs rêves, celle-ci sera chamboulée et deviendra pour le moins ennuyeuse. Iman et Khaled verront la mort lente de leur relation. Aussi, bien que le roman se concentre sur ces deux personnages, je dresse dans « حلم تركي » un tableau panoramique des rêves et des espoirs de plusieurs personnages : l’un d’eux vient d'Égypte, échappant à l'exécution; Najwa qui arrive de la Tunisie pour obtenir sa liberté et transformer son corps en celui d’un homme; une Palestinienne qui s’est échappée de la guerre; une réfu- giée syrienne fuyant la guerre après la mort de ses frères en prison…Tous les personnages du roman ont un passé qui enchaîne leurs rêves et se dresse comme une barrière entre leurs espoirs et aspirations. Contrairement au genre romantique, « حلم تركي » montre comment une relation amoureuse se termine, et non comment elle commence ! F.N.H. : Si vous aviez à recom- mander une seule de vos œuvres, laquelle ce serait ? K. A. : A coup sûr, toutes les trois. Elles sont mes «filles» ! (Sourire) F.N.H. : Il parait que vous avez reçu des menaces de mort sur les médias sociaux suite à vos écrits audacieux… K. A. : Il se trouve qu’un article que j’ai publié quand j’avais 19 ans dérange. J’y fustige le racisme qui a cours sur la communauté queer. Cela déplaît, incom- mode, agace. ◆

Mes protago- nistes sont évidemment contre toutes les formes d’aliénation, contre tous les obscu- rantismes, contre tous les confor- mismes, mais se font absor- ber par le sys- tème.

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