LeMajor-19

Commentaire de la copie d’Eloïse

L e sujet HEC–ESSEC 2025 pouvait déconcerter : la notion de « fractures sociales » n’apparaît pas explicitement dans le programme d’ESH. Celle d’ « équilibres économiques » est à l’inverse évoquée à plusieurs reprises, notamment en microéconomie et macroéconomie, lui donnant des manifestations extrême- ment diverses. Le risque de hors sujet était réel et pour y échapper, faire preuve de méthode était essentiel. Commentaires généraux et forces de la copie La copie se distingue d’abord par une bonne compréhen- sion du sujet. La candidate en adopte d’emblée une lecture dynamique. Il ne s’agit pas de discuter si les fractures sociales produisent des effets – ce qui serait vain – mais de montrer comment elles affectent ces équilibres. La réponse apportée en conclusion ( « ainsi, les fractures sociales affectent toujours la réalisation des équilibres économiques »), claire et scientifiquement pertinente, mérite d’être relevée : il ne faut pas oublier dans une disser - tation de répondre à la question posée ! Le plan s’appuie sur un débat structurant en économie : la relation entre inégalités et performances économiques. Les deux premières parties repartent de cette opposition sans pour autant dévier du sujet. Il s’agit dans les deux cas de montrer que les fractures sociales ont des effets sur les équilibres économiques qu’on peut alors classer suivant qu’ils sont favorables (I) ou défavorables (II). Pour analyser un sujet de concours, il est souvent utile de se remémorer les grands débats qui entourent chaque notion. Il en existe souvent plusieurs et vous sélectionnerez ceux qui vous semblent les plus pertinents pour traiter le sujet, sans pour autant dévier de celui-ci. Ainsi, concernant les inégalités, on s’interroge sur leur efficacité, leur conformité aux principes de justice sociale ou leur origine. Attention : aucun de ces trois débats ne correspond direc- tement au sujet et il faut à tout prix éviter de ressortir un « corrigé-type ». Cependant, si les inégalités peuvent être efficaces ou inefficaces, justes ou injustes, c’est donc bien qu’elles ont des effets ! On peut alors repartir de ces-der - niers pour traiter le sujet et c’est ici ce qui est fait. La troisième partie (III), centrée sur les politiques publiques, enrichit l’ensemble en montrant que les conséquences des fractures sociales dépendent du contexte institutionnel. Il s’agit d’une manière assez classique de dépasser une opposition. Meilleurs passages et conseils Les exigences formelles de la dissertation sont bien res- pectées. L’introduction est méthodiquement menée. Les parties et sous-parties sont clairement annoncées. On ne le répètera jamais assez : la méthode ne garantit pas une bonne note, mais son absence garantit une mauvaise. Une bonne copie rassure le correcteur sur le fait que vous maîtrisez les bases tout en se distinguant par des références plus originales. Les auteurs mobilisés dans la première moitié du devoir (Walras, Hayek, Say, Marx) sont un peu plus attendus que ceux de la deuxième moitié (Jara - vel, North, Beveridge, Ferracci). Les deux approches sont complémentaires. La première permet de montrer que la

réflexion a une origine ancienne tandis que la seconde peut en renouveler les termes. La présence de trois graphiques est un atout d’autant qu’ils sont mis au service de l’argumentation. La courbe de Beve- ridge est probablement le plus intéressant puisqu’il montre qu’il existe pour un marché différentes manières d’arriver à l’équilibre. L’enjeu est alors bien posé : il s’agit de faire en sorte que les fractures sociales n’empêchent pas l’atteinte du meilleur équilibre possible, celui de plein emploi. Entraî- nez-vous dès maintenant à mobiliser des graphiques dans vos colles et copies. Dès la première année, vous pouvez vous constituer un « carnet de courbes » qui liste les repré - sentations les plus importantes afin de les mémoriser d’ici au concours. Axes d’amélioration La copie demeure centrée principalement sur les inégalités économiques. La référence à l’ouvrage de Xavier Jaravel ouvre bien la porte aux inégalités de genre ou territoriales, mais ces dernières sont abordées de manière trop brève, et l’interprétation reste partiellement inexacte : chez Jaravel, le risque n’est pas celui d’un équilibre de sous-emploi mais plutôt d’un affaiblissement du potentiel d’innovation — et donc de croissance. La mention du sous-titre de l’ouvrage, Démocratiser l’innovation , en témoigne clairement. Le versant historique, important en ESH, est ici trop discret ! Les fractures sociales renvoient essentiellement au XIXe siècle à la structure de classes, qui est analysée non seu- lement par Marx mais aussi par des économistes libéraux comme David Ricardo. Dans les sociétés contemporaines, qui se sont tertiarisées, on les mesure davantage au prisme de l’égalité des chances, l’investissement en « capital humain » ou encore la segmentation du marché du travail. Cette évolution du regard historique est une autre manière d’enrichir l’analyse. Les références, très bien exploitées en début de copie, sont traitées plus rapidement en fin de devoir. Or, c’est précisément dans cette dernière partie que les arguments les plus originaux apparaissent. On devine un problème de gestion du temps, qui explique probablement l’absence d’ouverture dans la conclusion. ◗

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n°19 Décembre 2025

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