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FINANCES NEWS HEBDO
VENDREDI 29 SEPTEMBRE 2023
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Fake news
◆ Essayiste éthique, Ignacio Ramonet, dans son ouvrage «La Tyrannie de la communication» (éd. Galilée), pointe, avec une fureur mal contenue, les immondes tares de l’idéologie du «tout-communication». La charge est foudroyante. L’explosion de la désinformation
de garde » : « La presse écrite et audiovisuelle est domi- née par un journalisme de révérence, par des groupes industriels et financiers, par une pensée de marché, par des réseaux de connivence. Un petit groupe de journa- listes omniprésents impose sa définition de l’informa- tion-marchandise à une pro- fession de plus en plus fra- gilisée par la crainte du chô- mage. Ils servent les intérêts des maîtres du monde. Il sont l es nouveaux chiens de garde». A l’instar de l’info catho- dique, tressée de faux scoops, de reportages tra- vestis et d’informations sur- gonflées, contre laquelle Ignacio Ramonet avait ins- truit un procès à charge, étayé par un inventaire implacable de ses dérives (1), la période qui a suivi le tragique événement de la nuit du 8 au 9 septembre au Maroc a été marquée par une inondation d'infor- mations trompeuses (des rumeurs prétendant qu'une suspension des cours avait été décrétée en signe de deuil national; une vidéo montrant le sauvetage d'un nouveau-né des décombres; des sites web ont rapporté une hausse des tarifs de transport en commun reliant Inezgane et Taroudant)... Pis encore, certains médias français ont préféré adopter une approche sensationna- liste lors de leur couverture du séisme dévastateur qui a
frappé le Maroc : une image, capturée dans la médina de Marrakech, mettant en scène une femme clamant «Vive le Roi», a été détournée par Libé. Au lieu de transmettre l'émotion authentique de la scène, le journal a choisi un titre anxiogène : « Aidez- nous, nous mourons en silence ». L’info a beau se faire prendre la main dans le sac, elle ne renoncera jamais à ses méfaits tant que les facteurs de dérapage, à savoir l’es- prit de lucre et les nouvelles technologies, ne seront pas apprivoisés. « Chaque tech- nique émergente, soutient Paul Virition, est une tech- nique tyrannique. Parce que, justement, elle n’a pas de loi, elle est brute, voire bru- tale, agressive. Il faut légifé- rer avant de pouvoir en tirer bénéfice ». Ce n’est pas demain la veille. La désinformation a encore de beaux jours devant elle. Quant au citoyen, il est voué, encore longtemps, à l’enré- gimentement par l’idéologie délétère du «tout-communi- cation». Telle est la conclu- sion profondément pes- simiste, mais cruellement lucide de l’ouvrage. ◆ (1) - Le faux charnier de Timisoara. En pleine révolution roumaine, une agence de presse est-allemande annonce, sur la foi d’une dépêche d’une agence yougoslave, que 4.000 personnes ont été exécutées à Timisoara. Tous les médias se sont couchés ! En réalité, les cadavres en question avaient été extraits de la morgue. - Les faux barbus. Pour faire plus vrai, «La marche du siècle», dans un reportage sur les jeunes beurs face à l’Islam, rajoute, par l’artifice du maquillage, des poils à des garçons imberbes. - La fausse interview : Patrick Poivre d’Arvor fait croire aux téléspectateurs qu’il a dialogué en tête-à-tête avec Fidel Castro alors qu’il s’agit d’images d’une conférence de presse. La liste est longue, interminable.
de la vie est impératif.
Les eaux troubles de l’info
Les médias honorent-ils ces exigences ? Ramonet assène péremptoirement : ils n’en ont cure. Et d’égre- ner, avec une verve saisis- sante, le chapelet de lai- deurs dont la presse serait pétrie : bidonnages en chaîne, pollution par le fric, délits de connivence, réduc- tion de l’Histoire à de petites histoires faits-diversiers, disqualification de l’événe- ment au profit du choc de la révélation, basse flatterie du goût du public… Autant de vices du système mis en lumière, hier, par Balzac, Maupassant ou Léon Blum. Décriés il y a quelques années par des sociologues comme Pierre Bourdieu et même des praticiens tels que Pierre Schaeffer ou encore Serge Halimi, qui écrivait dans « Les nouveaux chiens
Par R. K. Houdaïfa
E nraciné depuis longtemps dans le journalisme, Ignacio Ramonet, ex-directeur du Monde Diplomatique, s’est forgé une vision salubre de l’informa- tion. Organiquement liée à la démocratie, celle-ci serait vouée à de multiples devoirs. Politique : les socié- tés entièrement opaques sont totalitaires. Intellectuel : donner à savoir, c’est don- ner à juger, à comprendre. Civique : informer, c’est permettre des choix. Mais responsable : la transpa- rence totale serait une uto- pie totalitaire et le respect
La désin- formation a encore de beaux jours devant elle. Quant au citoyen, il est voué, encore longtemps, à l’enrégimen- tement par l’idéologie délétère du «tout-com- munication».
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