FNH N° 1100

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CULTURE

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 16 MARS 2023

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Twombly pour les côtes médi- terranéennes de l'Afrique. À l'automne 1953, peu de temps après leur retour aux États-Unis, Twombly et Rauschenberg participent à une exposition commune à la Stable Gallery de New York. La contribution de Twombly comprend sept ou huit pein- tures, dont la moitié porte pour titre le nom de villes marocaines : Tiznit , ou encore Ouarzazat . Volubilus , quant à elle, est faite de nombreuses couches superposées, dont la surface a été activement travaillée et remuée par l'artiste, sans relâche. A certains endroits, des giclées et des coulures de peinture apparaissent; à d'autres, celle-ci a été creu- sée et incisée. Un morceau de fusain égaré darde à tra- vers les épaisses couches de peinture. Au niveau visuel, ensuite, les stries de pein- ture densément agglutinées rappellent les sillons des champs marocains excavés, reproduisant (dans des maté- riaux différents) l'aspect et les opérations archéologiques des sites auxquels elles empruntent leur nom. Par son titre, Volubilus désigne une ville au pied du massif de l'At- las, qui faisait office d'impor- tant avant-poste pour l'Em- pire romain. Rome à Tanger, poches de Maroc en Italie : cette perméabilité est emblé- matique de la conception de l'histoire chez Twombly. Son œuvre fait s'interpénétrer dif- férents niveaux d'histoire, à la fois temporels et spatiaux. Les peintures marocaines de Twombly permettent d'enri- chir considérablement les interprétations actuelles du rapport de l'artiste au passé, et de la manière dont il traite ces références. Par leur fac- ture et leur traitement, ces peintures marocaines activent un ensemble de métaphores liées à l'archéologie et à l'excavation. Elles sont cou-

vertes d'un mastic de pein- ture blanche qui a ensuite été gratté, une manipulation phy- sique qui évoque les proces- sus archéologiques d'accu- mulation et de soustraction, d'amoncellement et d'exhu- mation. Dans l'interpénétra- tion de différentes périodes historiques et la tectonique changeante de l'Empire et des influences culturelles qui répondent aux peintures, dont il est témoin au Maroc, puis qu'il poursuit à Rome, Twombly trouve une illustra-

tion emblématique de sa conviction. Les œuvres marocaines représentent l'aboutissement visuel de cette idée.

«Volubilus», peinture réalisée par Cy Twombly en 1953 (issue de la Collection Menil à Houston, Texas).

contiennent des gros plans de tombes et de pierres tom- bales. Certaines sont recou- vertes de formes géomé- triques, abstraites et symé- triques, tandis que d'autres portent des inscriptions en hébreu. Twombly est mani- festement captivé par ces éléments de culture verna- culaire qu'il transposera plus tard dans ses toiles. Bribes et fulgurances Muni de crayons, de craies grasses et de papier - des matériaux légers et faciles à transporter -, Twombly par- vient, grâce au dessin, à consigner tout ce qu'il n'a pas pu peindre au Maroc. Qu'il s'agisse de feuillets indépen- dants ou assemblés en car- nets de croquis, les dessins révèlent certaines des décou- vertes faites par Twombly au cours de son voyage - voyage qui s'inscrit dans une trajec- toire éducative plus large. Des «centaines de croquis» que Twombly annonce avoir réalisés à Tanger, seul un feuillet semble avoir survé- cu. Les autres ont été réa- lisés à son retour à Rome. Ce corpus d'études formant un ensemble, ils portent tous le même titre : North African Sketchbooks [Carnets

d'Afrique du Nord]. La réfé- rence à une aire culturelle et géographique concrète indique que les rencontres antérieures de Twombly ont non seulement marqué dura- blement sa mémoire, mais ont aussi guidé ses actions à Rome. Ces dessins rendent palpable cette sensation d'une transformation en cours, voire d'une métamor- phose. Focalisant le regard sur ce terrain mouvant, les carnets suscitent l'évocation d'autres images, celle d'une dune désertique, par exemple, dont le sable change au gré des pas du voyageur. En mettant à l’honneur Cy Twombly, le musée Yves Saint- Laurent Marrakech nous met avant tout devant un événement rarissime : un artiste qui, dès ses premières toiles, en l’occurrence dans les années 1950, trouve un style lui apportant une recon- naissance quasi instantanée. « Cy Twombly, Maroc 1952/1953 » plonge dans cette période assez peu connue durant laquelle l'étudiant de vingt-cinq ans découvre pour la première fois les expres- sions culturelles du monde relativement inexploré des peuples autochtones du Maroc. ◆

Cy, mausolée d’images Rauschenberg et Twombly ont choisi de documen- ter leurs voyages au moyen d'un appareil photo reflex bi- objectif Rolleiflex d'occasion. Les images sont ensuite tirées sur deux papiers différents, du Kodak Velox et de l'Agfa Lupex, dont la production a cessé depuis. Étant donné les contraintes du voyage et l'accès limité à un atelier, Twombly n'a pas la possi- bilité de peindre alors qu'il explore le Maroc, ce qui fait de la photographie un mode d'expression artistique pra- tique et compact et un moyen de saisir leur environnement. L'œuvre photographique de Twombly s'avère tout aussi artistique que documentaire. Dans certaines photogra- phies, il inscrit Rauschenberg dans la matérialité du pay- sage marocain. On y voit Rauschenberg, debout dans des ruelles blanches et vides, la main posée sur la hanche, ou se tenant de profil der- rière des troncs d'arbres dans une forêt. Plusieurs des pho- tographies prises durant le séjour des artistes au Maroc se distinguent du reste. Presque toutes attribuées à Twombly, ces photographies

Cy Twombly, Maroc 1952/1953» plonge dans cette période assez peu connue durant laquelle l'étudiant de vingt-cinq ans découvre pour la pre- mière fois les expressions culturelles du monde relativement inexploré des peuples autochtones du Maroc.

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