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Musique
La saga des insubmersibles Jil Jilala
◆ Artiste connu par la force de ses cordes vocales, sa grande maîtrise des notes et des chants traditionnels marocains et qui a beau se démener, jouer sa vie sur scène, user de tous les artifices de la séduction, Moulay Tahar Al Asbahani, l’un des fondateurs de Jil Jilala, s’est éteint, mercredi 3 mai, à l’âge de 75 ans. ◆ Il serait malaisé de tenter de reconstituer son itinéraire, tellement il est opulent. Tout au plus pourrions-nous en rappeler brièvement les saillies – les sept vies de Jil Jilala. Ce groupe qui se voulait insubmersible. Mais à force de ramer contre vents et marées, il a pris l’eau de toutes parts.
annoncé en septembre 1995, ne pouvait-il représenter qu'un prélude à la dissolution du groupe. Erreur sur toute la ligne. Jil Jilala, dûment lifté, avait sorti un album de derrière les fagots. Manière de faire entendre qu'il possède l'art de rebondir et de tenir tête aux coups du sort. Et de ceux-ci, leur trajectoire en est émaillée. En déclenchant une des plus belles révo- lutions musicales, Nass El Ghiwane avait ouvert une voie royale dans laquelle se sont engagées quelque 2.500 formations.
mant des textes puisés dans des sources enfouies. Une entreprise hasardeuse quand on sait que, hormis Mahmoud Saâdi, aucun membre du groupe ne dis- pose d'une culture musicale. Qu'à cela ne tienne. Les six hurluberlus, un tantinet têtus, embarquent avec eux un régisseur, Mohamed Majd, et vogue la galère ! Auparavant, ils se concertent sur le nom à donner au groupe. «Jil Jilala» est rete- nu eu égard au velouté des sons qu'il assemble, à sa mémorisation aisée et à la référence au saint bagdadi - Abdelkader Al Kilani - dont les zawyas jouent à la fois un rôle spirituel et un rôle de rébellion contre l'oppression et l'injus- tice. L'acte de naissance est validé le 28 septembre 1972.
La plupart ont trépassé sitôt éclos, les autres ont fait illusion pendant un laps de temps pour ensuite se retirer du bout des pieds; seul Jil Jilala a tenu la route. Non sans mal. Car loin
Moulay Tahar, le seul à n’avoir jamais quitté le navire constamment en perdition.
d'être lisse, son itinéraire est plutôt mou- vementé. Il fait l'effet d'une dramatique fertile en coups de théâtre et en fausses sorties. Prologue A une époque où on oublie, sans se faire rabrouer, d'aller chez le coiffeur et où les bas de pantalon passent de 17 centi- mètres de largeur à 27, six mouflets, bien dans l'air du temps, décident de former un groupe musical. Ils s'appellent Hamid Zoughi, Mahmoud Saâdi, Mohamed Darhem, Moulay Tahar El Asbihani, Sakina Safadi, Abderrahman «Paco». Ils ont en commun de monter sur les planches du très dérangeant théâtre amateur et ils sont mus par le ferme désir de renverser les formes de la chanson marocaine, torpiller le contenu qu'ils jugent niais, fade et infantilisant. Comment ? En exhu-
L'aventure démarre Acte I : Le temps des fleurs
Le 7 octobre 1972, Jil Jilala a les honneurs de la télévision. Les téléspectateurs, sur- gavés jusqu'à l'indigestion des ritournelles sirupeuses qui inondent les ondes et le petit écran sont, au début, interloqués par ce style inhabituel, puis se glissent indo- lemment dans ces paroles venues d'un lointain familier et exprimées par des voix exceptionnelles, celle juste et puissante du frêle Darham, celle incomparablement fluctuante de Moulay Tahar, celle volup- tueusement aérienne de Sakina. Quand la chanson institutionnalisée mâtine l'arabe classique et le dialecte, celle des Jil Jilala s'appuie sur la langue de tous les jours, le plus sûr vecteur des messages qu'ils entendent transmettre. Voilà, le mot est dit, message, car le groupe ne prétend ni
U ne soixantaine de chansons, un disque d'or, un passage mémorable à l'Olympia, des tournées triomphales à travers le monde et un prestige jamais terni malgré l'âge. Ce prestige, Jil Jilala le tire, pour une large part, de deux hommes : Mohamed Darhem et Moulay Tahar. Deux personnages capitaux et leaders charis- matiques. Le premier avait incarné, pen- dant vingt-trois ans, l'âme du groupe; l’autre était le seul à n’avoir jamais quitté le navire constamment en perdition. Aussi, le retrait de Darhem, discrètement Par R. K. Houdaïfa
L'acte de naissance est validé le 28 septembre 1972.
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