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CULTURE

JEUDI 11 MAI 2023 FINANCES NEWS HEBDO

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réinventer des rythmes, dans la mesure où ne fait que dépoussiérer ceux qui existaient déjà, ni revisiter des harmonies, mais seulement décrire les maux qui nous minent avec des mots audibles, intelli- gibles. « Ces onomatopées placées sur un rythme parfois obsessionnel, ces incantations ne me laissent pas indifférent , écrit Mustapha Dziri, le message est là. L'essentiel est qu'il doit passer. C'est ce qui me semble être le plus important car, les Jil Jilala s'adressent non seulement à ceux qui ne lisent pas, mais également à ceux

qui ont désappris à lire ». Des mots simples, sur des rythmiques élémentaires et des instruments surgis des tréfonds du patrimoine : les tambourins, le « sentir », un

Le groupe à ses débuts : C’était un phénomène de société qui a fait date.

instrument à cordes faites avec des intes- tins de chameau rendant une mélodie de basse. Une dissonance : le bouzouk dont joue Mahmoud Saâdi. Tout cela au ser- vice de quatre chansons : « La klam lamra- saâ (la bonne parole)», « Alâar abouya (s’il te plaît, père)», « Jilala », « Lajouad (les saints)». Autant de complaintes sur le mal- être de l’homme, sa profonde solitude et le désespoir qui est son lot. Des paroles qui ont fait mouche. C’est peu de parler de réussite : ce fut un triomphe. A preuve, les mouvements de vente frénétiques des cassettes des Jil Jilala qui s’en sont suivis. Le public s’engoue, les gardiens du temple (n’est-ce pas feu Ahmed El Bidaoui ?) ont immédiatement urticaire et poussée de fièvre. Mise à l’index et peaux de banane. Mais Jil Jilala passe à travers les gouttes et renvoie la bêtise à la niche. L'année suivante, la déferlante jilalie atteint les côtes françaises. Et c'est l'Olympia, cette Olympe, qui leur ouvre les bras. Ils ont non seulement convaincu, mais conquis. Leur titre « Liyam Tnadi (les jours appellent)», véritable plaidoyer contre l'oppression et la torture, recueille tous les suffrages. Le groupe vole de succès en triomphes, mais garde la tête froide. Égal à lui-même, il demeure fidèle à ses valeurs et repousse rageusement les sirènes tentatrices. Pas de génuflexions, pas de compromissions, tel est le mot d'ordre auquel tous se plient. Acte II : les années fastes Nous sommes en 1976. Entre-temps, «Paco», le gnawi, a quitté Jil Jilala pour Nass El Ghiwane, Moulay Abdelaziz Tahiri effectue le chemin inverse, Sakina Safadi, mise devant l'alternative du mariage ou de

la chanson, abandonne celle-ci, la mort dans l'âme, Abdelkrim Al Kasbaji la sup- plante, Hassan Meftah remplace Hamid Zoughi. La rivalité entre Nass El Ghiwane et Jil Jilala s'exacerbe, attisée qu'elle est par des médias en mal de sensationnalisme. Petites phrases vipérines, déclarations incendiaires. On peut en faire des gorges chaudes. Après tout, on a les Beatles et les Rolling Stones que l'on peut. Jil Jilala décrète que ce combat de titans pour une vague suprématie doit cesser, vaille que vaille. L'astuce est vite trouvée : pour ne plus marcher les uns sur les autres, il suffit d'exploiter un autre filon. Dès lors, la profonde connaissance du «malhoun» de Tahiri est mise à profit. Le transfuge des Nass El Ghiwane se met en devoir de labourer et fertiliser un champ de création demeuré longtemps en jachère, de redon- ner vie à des «qasidas» conservées sous le boisseau, enfouies sous les décombres de la mémoire. « Tel qu'il était chanté, le malhoun ne pouvait séduire les jeunes. Les paroles étaient dites d'une voix monocorde, les mots étaient hermétiques, souligne Tahiri. Nous nous sommes employés à le rendre

accessible ». La mayonnaise a pris, les jeunes qui étaient imperméables à ce genre de poésie chantée, s'y accrochent. Il faut dire que « Chamaâ » ou « Lotfya », par lesquelles le groupe a signalé sa bifurcation, sont des morceaux d'antho- logie, des pépites d’une belle eau. Jil Jilala fixe son cap sur le malhoun et s'y tient résolument. Il devient ainsi son label de qualité. D'autres chansons du même tonneau suivent, elles produisent un effet irrésistible sur le public qui en redemande. Jil Jilala atteint de plus en plus de spectateurs, vend de plus en plus de disques. L’état de grâce dure une décennie. Pendant ce temps, Nass El Ghiwane, qui a perdu le précieux Boujemaâ, pique du nez. Acte III : les prémices du déclin Les années qui suivent seront celles des dépressions, des traversées du désert, de la stérilité artistique, du néant. C’est que les comètes raï, variétés moyennes orientales et ritournelle liftée, sont venues s’écraser sur la planète Jilala. Le groupe rompt à chaque coup du sort, il ne plie jamais. 1985, Tahiri, longtemps en délicatesse avec un autre membre

Le transfuge des Nass El Ghiwane se met en devoir de labourer et fertiliser un champ de création demeuré longtemps en jachère, de redonner vie à des «qasi- das»...

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