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CULTURE
JEUDI 11 MAI 2023 FINANCES NEWS HEBDO
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du groupe, finit par claquer la porte, Mahmoud Saâdi s'est donné de l'air deux ans plus tôt, Mustapha Baqbou est appelé à la rescousse. Les Jil Jilala ne sont plus que cinq. Ils ont pris du plomb dans l'aile et ressemblent à l'al- batros de Baudelaire que ses ailes de géant empêchent de marcher. Darhem, promu maitre à bord, s'es- crime à ne pas laisser définitivement sombrer le vaisseau naufragé. Il se démène tel un beau diable, écrit les textes, arrange la musique, assure la logistique, s'occupe de la communi- cation, offre le gîte et le couvert à ses collègues. Rien n'y fait. Le charisme dont pouvait se targuer le groupe, s'est évanoui, son inspiration s'est usée. En outre, les années 80 ont changé la face de la société marocaine. Tous les bons sentiments de la décennie précé- dente s'écroulent lamentablement. Le paysage quotidien de notre existence s'enlaidit et se déshumanise au-delà de toute expression. Seule compte la fré- nésie de l'argent. Comment une société en proie au narcissisme arrogant peut- elle être sensible à une chanson pavée de sentiments humanitaires, solidaires, généreux ? Même « Ya man âana (celui qui a pâti)», d'une très belle eau, n'a pas trouvé grâce aux yeux du public. Curieusement, s'ils ne ramènent plus un chat chez eux, les Jil Jilala conti- nuent d'aimanter, d'envouter, d'électri- ser des légions de spectateurs au-delà des frontières. Voici ce que narre Tunis Hebdo , du
Etiez-vous Ghiwaniens ou Jilaliens ?
Jil Jilala, ce n’était pas seulement de la musique. Ce n’était pas, non plus une simple archéologie de la mémoire. C’était un phénomène de société, un évé- nement qui nous advint et qui a fait date. A l’instar de leur indéfectible pendant : Nass El Ghiwane. Un peu d’histoire. Nass El Ghiwane sortent leur premier disque, Siniya , en 1971; Jil Jilala connaissent leur premier succès, quelques mois après, avec Al’ar Abouya . Les deux groupes ont en commun d’avoir arpenté les tréteaux sous la baguette du dramaturge Tayeb Saddiki et d’avoir troqué l’habit de lumière contre le bleu de chauffe de la scène. Le reste est différent, tout le reste. Un des clivages les plus passionnels des seventies demeure celui qui opposa le groupe de Boujemaâ et Larbi Batma à celui de Moulay Abdelaziz Tahiri et Mahmoud Saâdi. On était partisan de l’un ou de l’autre, on ne pouvait pas l’être des deux, en même temps. Nass El Ghiwane sont des Casablancais issus d’un quartier populaire, Hay Al Mohammadi, Jil Jilala sont Marrakchis. Face aux franges bien coiffées de ceux-ci, les cheveux longs en bataille de ceux-là. A côté des tuniques proprettes, du laisser-aller vestimentaire. Jil Jilala ont une image de petits-bour- geois (alors qu’ils sont de modeste naissance) propres sur eux et souriante. Nass El Ghiwane cultivent des attitudes de rebelles agressifs, provocateurs et méprisants. Bruts, épidermiques, exaltés, ils brûlent leur vie sur scène, provoquant une hystérie contagieuse chez les adolescents et les étudiants. De quoi inquiéter parents et forces de l’ordre, avec qui ils ont souvent maille à partir. Dédaignant le sulfureux, l’outrance et la démesure, Jil Jilala exécutent leur numéro, sans état d’âme, mais avec un talent minutieux qui force l’admiration. Malgré leur différence de ton, les deux groupes se marchent mutuellement sur leurs brisées, en mettant en avant une thématique similaire : désenchan- tement de l’homme, sa solitude, sa désespérance, son ingratitude, sa crise morale, son renoncement aux valeurs fondatrices, ses manies autodestruc- trices… La vieille rivalité sournoise s’attise au fil des ans. Les médias, jouant les pompiers pyromanes, mettent l’huile sur le feu. Jil Jilala, agacés par tant de haine vaine et gratuite, abandonnent le terrain de la complainte émeutière à leurs rivaux pour s’installer dans le registre du «malhoun».
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