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SOCIÉTÉ
FINANCES NEWS HEBDO
JEUDI 3 NOVEMBRE 2022
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environnement; il pose des repères et développe certaines techniques de survie. Il faut faire la distinction entre un enfant ayant une identité «rue» - celui qui a un CV lourd dans la rue lui permettant de maîtriser le groupe - et un «nouveau venu» inexpérimenté. Un enfant avec l'identité «rue» est passé par tous les centres sociaux de l'État. Il connaît les services des associations et leurs qualités. Il se meut beaucoup, créant son propre circuit qui lui permet de trouver de quoi manger, de quoi porter et avec quoi se droguer. Ces enfants ne connaissent pas la nuit. Ils la consacrent à la consommation de diverses sortes de drogues : colle à sniffer qui leur donne un gros appétit, alcool, haschisch, maâjoun , karkoubi (psychotropes)... C'est pourquoi les enfants mendient. Aussi, bien qu’ils puissent voler et même agresser, ils peuvent également se prostituer pour manger ou acheter leurs addictions. Pour passer la nuit, rien de mieux que la gare routière et ses quatre grands cafés, dont le célèbre Siniya, et les mahlabas ouverts 24h/24. A 6 heures du matin, ces gamins aux identités «rue» sont suffisamment épuisés et peuvent dormir. Maintenant, ce sera la ruée vers les squats. Et les planques cinq étoiles sont bien connues dans la communauté de chemkaras . Oulad Ziane est la plus convoitée des kwanates (coins). Le critère de choix d'un refuge n'est rien d'autre que la sécurité. Car les enfants de la rue craignent les prédateurs sexuels et les fiyyalas (voleurs dans le jargon des enfants de la rue). Parfois, ils dorment sur le toit des postes de police. Ils savent qu'il n'y a pas d'endroits plus sûrs que ceux-là. Vers le milieu de l'après-midi, l’enfant à l’identité «rue» se réveille et commence sa journée à chercher de la nourriture ( kazana dans la terminologie des sans- abri) et de la colle. Il fait la manche et exploite les nouveaux venus. En retour, ces derniers bénéficient de sa protec- tion et profitent de son expérience. Dans notre jargon, nous appelons cela une relation d'influence. Les enfants ne peuvent plus quitter le groupe et doivent montrer patte blanche au lea- der. Bien qu'ils soient protégés par le chef, ils sont également victime
d'abus, notamment sexuels. Omar, aujourd'hui âgé de 14 ans, raconte : « Les premiers jours sont toujours très durs (...) J'étais heureux d'être dans la rue, mais je n'arrêtais pas de penser à la nuit. Je passais mes journées à mendier et à chercher chi kwanne [un coin] pour passer la nuit. Pour me débarrasser de cette peur, la peur de lcap [la nuit dans le jargon des enfants de la rue], j'ai commencé à sniffer la colle ». Plaie Mais pourquoi la rue attire-t-elle autant ces enfants ? Elle donne ce qu'une famille ne peut donner à un enfant. Il faut savoir que la majorité des enfants des rues de Casablanca vient de quar- tiers périphériques de la ville et du monde rural et dont les familles sont très pauvres. Histoires d'enfants de la rue, histoires de destins brisés, histoires de familles désunies, de violences psychologiques et physiques. Histoires d’enfants dont la majorité d'entre eux est victime d'abus sexuels par des SDF plus âgés ou par une clientèle spéciale formée de courtiers, de gardiens, de chauffeurs de taxi… Des enfants souffrant de l'ab- sence du père ou de la mère en raison du divorce ou du remariage de l’un des géniteurs. Des enfants qui ont préféré déserter la maison, puisque « l’enfer
de la maison était pire que celui de la rue », rapporte Rachid, 12 ans, à la rue depuis trois ans. D'autres sont des enfants rejetés, le produit de relations illégitimes. L'âge moyen des enfants des rues est de 12 à 14 ans, mais certains ont entre 7 et 8 ans. Leur nombre est inconnu, mais ils se comptent certai- nement par milliers. Les filles des rues sont pour la plupart de petites bonnes livrées à leur sort ou des filles qui se sont enfuies de chez elles à cause de la perte de leur virginité… ! A la gare d'Oulad Ziane, les gar- çons sont exploités par les tenanciers des cafés et mahlabas . Ils travaillent toute une journée pour gagner 7 à 10 DH, ou lavent les autocars pour la modique somme de 5 DH. Les filles se prostituent. « Dans le café, en fin d’après-midi, le gros de l’activité, c’est la prostitution à moins de 50 DH la passe », nous souffle un certain courtier, naguère enfant de la rue. Une vérité âpre. Une réalité marocaine dans ce qu'elle a de plus profond, de plus ingrat et inavouable. Un enfant abandonné et livré à lui-même dans la rue, accroché à sa colle pour, à mi- chemin, lui proposer une fuite assu- mée vers les volutes d’un onirisme, c’est donc un indicateur d’échec de toute la société. ◆
Un enfant abandonné et livré à lui- même dans la rue, accro- ché à sa colle pour, à mi- chemin, lui proposer une fuite assu- mée vers les volutes d’un onirisme, c’est donc un indica- teur d’échec de toute la société.
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