Interview: Entre peur et amour du prochain
ment me rendre à tel endroit et à la manière de m'habiller pour ne pas me faire remarquer. Je me fie plus à mon instinct, et mes sens sont en éveil tout en cherchant à me déplacer aussi normale- ment que possible et ne pas me laisser trop res- treindre par le danger. Car j'ai besoin d'une certai- ne liberté. Sarah: nous n'avons jamais vraiment craint une contamination d'Ebola, parce que nous savions d'emblée comment la contagion se trans- met. Mais la grande frayeur dans la population nous a aussi inquiétés; nous devions veiller à ne pas nous laisser gagner par elle. La situation politique était plus délicate, car elle peut rapidement dégénérer en Guinée et débou- cher sur des désordres et des combats de rue. De plus, nous avons évité les visites aux malades, les enterrements et les voyages inutiles qui représen- taient aussi un danger. Patricia: juste après les attentats, nous ne sommes plus allés au marché pendant un certain temps et, d’une façon générale, nous nous sommes montrés plus prudents, car nous étions constamment cons- cients du danger. Aujourd'hui, la vie a retrouvé globalement son cours habituel; seuls les contrô- les sont plus fréquents et sévères, et il y a plus de policiers armés en ville. Sarah: un jour, un collaborateur furieux m'a appe- lée pour me dire que je ne devais plus accueillir notre bonne d'enfants dans lamaison, car on l'avait vue le matin dans la maison d'un voisin qui était décédé d'Ebola. Mais elle était déjà dans la piè- ce et tenait notre dernier né sur ses genoux. J'ai dû, à ce moment-là, prendre une profonde inspiration pour ne pas paniquer. Mais après une bonne dis- Quel a été pour vous le moment le plus difficile?
Plusieurs de nos collaborateurs vivent et travail- lent dans des régions où existent diverses sortes de dangers. Trois d'entre eux nous disent com- ment ils y font face dans la vie de tous les jours et pourquoi ils continuent à s'y engager malgré tout. Damaris Liechti: Damaris collabore depuis 2015 au projet ProVIDA de SAM global à Belém, au Brésil. Belém est l'une des villes les plus dan- gereuses d'Amérique latine. Sarah Büchli: Sarah vit avec sa famille à Ma- centa en Guinée et est engagée dans le projet ProESPOIR. En 2014, l'épidémie d'Ebola a éclaté à proximité et s'est rapidement propagée dans tout le pays et par-delà les frontières, causant plus de 10’000 décès. Depuis lors, la Guinée est considérée comme libérée d'Ebola. Patricia Moser: Patricia vit avec sa famille à Am Sénéna au Tchad et dirige le projet ProRADJA avec son mari. Boko Haram est actif dans les pays voisins et a aussi perpétré des attentats au Tchad en 2015, sur un marché distant de quel- ques kilomètres seulement d'Am Sénéna. La si- tuation s'est un peu calmée depuis lors, mais la tension demeure.
Comment vivez-vous personnellement le danger au quotidien?
Damaris: Quand je me déplace, je ressens rare- ment de l’insécurité. Mais je suis consciente du danger et je sais que je ne peux pas tout faire comme en Suisse; rentrer seule de l'arrêt de bus à la maison après 19 heures est par exemple très dangereux. Je suis devenue plus prudente et mieux préparée. Je fais plus attention à com-
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