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ECONOMIE

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FINANCES NEWS HEBDO VENDREDI 28 NOVEMBRE 2025

pas entièrement démuni. Sous la couche phosphatée qui fait sa richesse, gît un autre actif stra- tégique : l’uranium contenu dans la roche. «On retrouve l’uranium dans des minerais naturels, mais aussi - et c’est le cas du Maroc - dans de la roche phosphatée», rappelle Louhmadi. Et de pour- suivre qu ’«à partir de cet ura- nium brut, on applique une série de réactions chimiques afin d’en extraire ce qu’on appelle du «yel- lowcake» ou U₃O₈, dont le prix a été multiplié par cinq entre 2020 et 2024, ce qui a poussé l’OCP à lancer son extraction à partir du phosphate». Pour l’expert, le calcul est simple : «le mastodonte national du phos- phate est une entreprise mature industriellement et intellectuelle- ment, grâce à ses talents, à sa gouvernance et à la R&D au sein de l’UM6P. Il a vocation à deve- nir un conglomérat et a tout à fait raison de vouloir exploiter les réserves marocaines en termes d’uranium». L’investissement de plus de 100 millions de dollars porté par la start-up Uranext, adossée à l’UM6P, dans une usine d’extraction de yellowcake à El Jadida s’inscrit exactement dans cette logique. Il ne rendra pas le Maroc autonome en combustible - l’enrichissement restera exter- nalisé -, mais il lui donne la maî- trise d’une brique essentielle de la chaîne de valeur, avec à la clé un potentiel d’exportation.

Plus encore, il rappelle que Rosatom, mastodonte public russe, a déjà essaimé ses réacteurs en Biélorussie, au Bangladesh, en Chine, en Hongrie, en Inde, en Turquie, et conduit des projets en Égypte, au Vietnam et en Ouzbékistan. «Le combus- tible utilisé est de forme hexago- nale, exclusivement russe, ce qui accroît la dépendance technolo- gique et nucléaire de ces pays vis-à-vis de la Russie, et ce dans un contexte géopolitique mon- dial que l’on connaît. Si le Maroc se lance dans la construction de centrales SMR, il sera ipso facto dépendant de la Russie», précise note interlocuteur. Difficile d’être plus clair choisir un fournisseur de SMR, c’est aussi choisir une trajectoire diplomatique. Le rôle de l’OCP À cette dépendance technolo- gique s’ajoute celle, plus pro- fonde, du combustible. Un réac- teur de type SMR consomme de l’uranium enrichi, conditionné dans des crayons de combus- tible dont chaque assemblage fonctionne entre douze et dix-huit mois, parfois jusqu’à vingt-quatre mois pour les nouvelles généra- tions. Le Maroc ne possède pas aujourd’hui d’uranium enrichi. Il devrait donc importer ce com- bustible auprès d’un des grands acteurs mondiaux : Rosatom, le consortium européen Urenco, le français Orano ou la chinoise CNNC. Louhmadi en rappelle la géographie : «la Russie arrive en tête avec 46% de parts du marché, suivie d’Urenco à 30%, Orano à 12% et CNNC à 11%. Il est donc évident que si le Maroc se positionne sur le nucléaire civil, il importera l’uranium faiblement enrichi à l’un de ces pays; si de surcroît il s’agissait de réacteurs SMR, ce serait fort probablement du combustible russe. La dépen- dance énergétique serait donc double». Pour autant, le Royaume n’est

 Mohammed Amine Cherkaoui (en tenue traditionnelle), président du CA de Water And Energy Solutions, et Kseniya Sukhotina, DG de Rusatom Smart Utilities, lors de la signature d’un protocole d’accord en marge du Sommet Russie-Afrique, le 27 juillet 2023 à Saint- Pétersbourg (Russie).

un pays qui veut à la fois indus- trialiser et dessaler ne peut se contenter indéfiniment d’un sys- tème électrique fragmenté et fra- gile. La question n’est donc plus de savoir si le Maroc a «besoin» du nucléaire en 2025, mais s’il peut se permettre de ne pas le considérer pour 2040. Dans ce cadre, l’étude de Nechfate consacre une large place aux Small Modular Reactors (SMR), cette nouvelle génération de réacteurs compacts qui attire l’attention des décideurs. D’un point de vue technique, un SMR reprend le principe du réacteur à eau pressurisée classique - le plus répandu au monde -, mais dans un format beaucoup plus compact : le cœur, le pressuri- seur et les générateurs de vapeur sont réunis dans une cuve unique immergée. La puissance varie entre 70 et 470 MW, là où un réacteur de type EPR culmine à 1.600 MW. L’intérêt est double : une modularité permettant d’as- sembler plusieurs «briques» pour atteindre la puissance souhaitée, et un coût d’investissement uni- taire beaucoup plus faible. Là où un EPR peut frôler les 80 milliards de dirhams, un SMR de 300 MW se situerait, selon Nechfate, entre 15 et 20 milliards. Le piège de la dépendance technologique Les promoteurs de ces techno- logies mettent en avant d’autres arguments: une construction

annoncée en trois à quatre ans, loin des quinze années de déboires du chantier de Flamanville en France; un facteur de charge qui pourrait approcher 90% en base, quand un parc solaire tourne autour de 20%; et une empreinte carbone extrêmement faible, de l’ordre de 5 à 15 g CO2/kWh, comparable, voire inférieure à celle des renou- velables, bien loin des 450 à 550 g CO2/kWh du gaz et des 800 à 1.000 g CO2/kWh du charbon. En théorie, note Nechfate, des SMR pourraient à moyen terme « prendre le relais des centrales à charbon et gaz les plus émet- trices, tout en sécurisant la conti- nuité d’alimentation d’un mix dominé par les EnR». Reste que la technologie ne dit pas tout. Charaf Louhmadi insiste sur l’envers de la médaille : «l’avan- tage d’un réacteur SMR est son coût de mise en œuvre, largement inférieur à celui d’une centrale classique… De plus, la durée de production du SMR est réduite, elle est de l’ordre de quelques années versus plus d’une décen- nie pour un EPR. Néanmoins, la technologie SMR est détenue par une poignée réduite de pays, dont le principal producteur est la Russie; la Chine étant également très avancée. Par conséquent, la production de SMR rime avec dépendance extérieure, notam- ment russe. Tout partenariat avec la Russie risque de froisser les alliés stratégiques et historiques du Maroc membres de l’OTAN» .

Mise à niveau du réseau électrique

Au-delà de ces dimensions tech- nologiques et industrielles, l’étude de Nechfate insiste sur d’autres prérequis, plus prosaïques mais tout aussi décisifs. D’abord, la gestion des déchets hautement radioactifs, qui exige des infras- tructures de stockage profond, coûteuses et difficilement ren- tables pour un pays qui ne dispo- serait que d’un petit parc de réac- teurs. La solution la plus réaliste, à court terme, serait l’exportation de ces combustibles usés vers des pays dotés de filières de retraite- ment ou de stockage, comme la France ou le Royaume-Uni, au prix d’accords de long terme très enca-

Un programme nucléaire - même limité à quelques SMR - implique des montants qui se chiffrent en dizaines de milliards de dirhams.

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