ECONOMIE
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FINANCES NEWS HEBDO VENDREDI 28 NOVEMBRE 2025
Entretien «Sans nucléaire, le Maroc ne pourra ni décarboner son électricité ni garantir sa souveraineté énergétique»
choix stratégique et rationnel pour les 40 prochaines années.
Avec 23 ans d’expérience dans l’industrie nucléaire française, Anwar Ouazzani-Chahdi, ingénieur et expert en développement nucléaire, fait partie des rares experts nationaux en la matière. Il estime que le Maroc doit intégrer le nucléaire bien plus tôt qu’on ne l’imagine. Dans cet entretien, il décrypte les enjeux, les atouts des SMR et les conditions d’une gouvernance réellement souveraine.
F. N. H. : Quels avantages et limites pour les SMR dans le contexte maro- cain ? A. O. C : Les SMR (Small Modular Reactors) offrent des avantages particulièrement adaptés à la configuration marocaine. Leur puissance réduite - entre 50 et 300 MW - s’intègre harmonieusement dans un réseau en transition dominé par les énergies renou- velables. Contrairement à un grand réacteur de 1.200 MW, un SMR peut être ajouté pro- gressivement, sans déséquili- brer la stabilité du réseau élec- trique national. Leur modularité est détermi- nante : les SMR et AMR peuvent être fabriqués en usine, trans- portés par modules et assem- blés sur site, ce qui limite les retards, un des principaux risques des grands projets nucléaires. Le Maroc possède déjà les capacités logistiques et industrielles pour accueillir ce type d’infrastructures et, à terme, pour participer à leur fabrication, ouvrant la voie à une filière industrielle locale aux retombées économiques consi- dérables. Les avantages sont clairs : plus grande flexibilité, inves- tissements initiaux plus faibles (1 à 2 milliards de dollars vs 6 à 10 milliards pour un EPR), meilleure complémentarité avec l’intermittence solaire et éolienne, et forte compatibilité avec le développement futur de l’hydrogène vert et rose. Les limites sont principalement liées au calendrier : aucune
Propos recueillis par R. Mouhsine
Finances News Hebdo: Le Maroc a-t-il aujourd’hui un besoin réel d’intégrer le nucléaire dans son mix énergétique ? Anwar Ouazzani-Chahdi: Oui, le Maroc a un besoin réel d’intégrer le nucléaire dans son mix énergétique, et ce dès aujourd’hui, aux côtés des énergies renouvelables. Le Royaume dépend encore à plus de 60% des énergies fossiles importées, principale- ment le charbon, le fioul et le gaz. Même si les renouve- lables progressent rapidement, le thermique reste dominant. Or, le Maroc a signé, avec 195 pays, les engagements de la COP28 visant l’abandon pro- gressif des combustibles fos- siles au cours de cette décen- nie. Cela signifie que plusieurs gigawatts de capacité charbon devront être remplacés entre 2030 et 2045. Ce remplacement intervient alors même que les capacités actuelles ne sont pas pérennes
à long terme. Il suffit de com- parer les chiffres : en 2023, la production électrique maro- caine était de 41,65 TWh pour 33 millions d’habitants, contre 285,52 TWh en Espagne pour environ 46 millions d’habitants. Même sans explosion de la demande, le Maroc devra mas- sivement sécuriser sa base pilotable. Le nucléaire apporte précisé- ment ce que les renouvelables ne peuvent garantir seules : une énergie pilotable, décar- bonée, stable, et dont les coûts d’exploitation restent bas et prévisibles. À l’inverse, le stockage massif de l’électri- cité renouvelable demeure très coûteux et dépend de chaînes d’approvisionnement externes (panneaux importés, onduleurs à renouveler), avec un risque de hausse des prix qui sera in fine supporté par le consom- mateur.
Le choix du nucléaire est éga- lement géostratégique. Les tensions internationales autour du gaz, comme l’a illustré le conflit Russie-Ukraine, rap- pellent que l’indépendance énergétique ne peut reposer uniquement sur les importa- tions. Le nucléaire permet- trait en parallèle de soutenir des usages futurs essentiels, notamment le dessalement de l’eau de mer et la production d’hydrogène rose. Décider maintenant, c’est construire pour 2035–2045. Si le Maroc attend une situation d’urgence pour se lancer, il sera trop tard. En somme, si l’objectif est de décarboner l’électricité, de sor- tir du charbon, de stabiliser un réseau de plus en plus renou- velable, de soutenir l’industrie lourde et de réduire la dépen- dance énergétique, alors le nucléaire s’impose comme un
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