HIGH-TECH
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FINANCES NEWS HEBDO VENDREDI 28 NOVEMBRE 2025
Gaming «Un secteur qui avance, mais à pas de velours»
existe, mais elle n’est pas encore suffisam- ment structurée pour rassurer les grands acteurs internationaux. Enfin, il y a la question de l’accès du public. Le coût du matériel reste élevé, les moyens de paiement compliquent les achats digitaux, et la connectivité varie selon les régions. Cela limite une partie des joueurs et freine mécaniquement la crois- sance du marché. En réalité, tout est lié : lorsque l’infrastructure progresse, que les éditeurs sont confiants et que les joueurs ont un meilleur accès aux services, l’ensemble de l’écosystème peut s’accélérer. Le Maroc avance, mais il doit désormais faire converger ces trois axes pour exploiter pleinement son potentiel. F. N. H. : Le Maroc met en avant l’am- bition de bâtir une véritable industrie du jeu vidéo. Sur le terrain, observe-t- on une filière cohérente ou seulement des initiatives isolées ? H. B. : Aujourd’hui, on voit beaucoup d’ini- tiatives, certaines très prometteuses, mais elles ne sont pas encore connectées entre elles. Il y a des écoles, des studios en créa- tion, des événements réguliers, mais ça ne forme pas encore une filière. Il manque une vision d’ensemble, une coordination globale et des passerelles claires entre les acteurs. D’ailleurs, tout cela s’inscrit dans la continuité des orientations royales sur la digitalisation et le développement des compétences, qui encouragent l’émergence de secteurs inno- vants. Le potentiel est là, mais il faut mainte- nant transformer cette multitude d’initiatives en un véritable écosystème structuré. F. N. H. : Les talents marocains existent, mais peinent à trouver leur place ici. Est-ce un problème de formation ou de modèle économique ? H. B. : Le problème n’a jamais été la compé- tence. Nous avons des créateurs, des artistes, des développeurs de très haut niveau. Ce qui manque, c’est l’économie autour : le finance- ment du prototypage, l’accompagnement sur la durée, le publishing, l’accès aux marchés internationaux. Sans ces étapes, personne ne peut survivre dans la création de jeux. Et il ne faut pas oublier que notre identité culturelle peut devenir un vrai moteur. Elle offre des univers, des histoires, un folklore que per- sonne n’a encore valorisés dans le gaming, alors qu’il pourrait donner une direction claire et inspirante aux créateurs locaux. Pour gar- der nos talents, il faut des fonds dédiés, des incubateurs spécialisés et de vrais partena- riats avec des studios étrangers. Le problème n’est pas la formation, mais l’absence de soutien économique capable de transformer des idées souvent très originales en jeux, puis en entreprises. ◆
Propos recueillis par K. A. Le gaming trouve progressivement sa place au Maroc. Entre ambitions, contraintes et signaux encourageants, Hakam Boubker, fondateur du Versus Arena, partage son regard de terrain sur un secteur qui bouge vite.
Finances News Hebdo : Comment évaluez-vous aujourd’hui la maturité du marché gaming au Maroc ? Hakam Boubker : On voit clairement que quelque chose a changé depuis le Covid. La base de joueurs a grandi très vite, les centres gaming se sont multipliés, les tour- nois aussi, et les marques commencent enfin à s’y intéresser sérieusement. On reste dans un marché émergent, mais il devient de moins en moins informel. Les choses se structurent, doucement mais sûrement. Nous ne sommes pas encore une industrie, mais nous ne sommes plus du tout au stade amateur. F. N. H. : Quels sont aujourd’hui les véritables goulots d’étranglement qui empêchent une expérience compa- rable aux standards européens ? H. B. : Le vrai problème, c’est la formation e-sport. Les talents sont là, il y en a beau- coup, mais ils évoluent sans accompagne- ment. Il n’y a pas de structures pour les coacher, pas de suivi, pas de programmes d’entraînement sérieux, rien qui permette à un joueur marocain de franchir un vrai palier compétitif. On commence à voir des écoles de création de jeux vidéo, et c’est très bien, mais côté e-sport, il manque encore toute la filière : repérage, encadrement, équipes stables, ligues régulières. Sans cela, nous ne pouvons pas rivaliser avec les standards internationaux. F. N. H. : Avec l’essor du cloud gaming, de la 5G et des architectures à faible latence, où en est réellement le Maroc sur le plan technique ? H. B. : Sur la connectivité classique, nous avons clairement progressé. La fibre est plus présente, plus stable, avec des débits qui per- mettent de jouer correctement. Pour un joueur
moyen, l’expérience est globalement satisfai- sante. Mais dès qu’on passe à des besoins plus avancés comme l’Edge computing, les serveurs régionaux ou les CDN locaux, nous restons totalement dépendants de l’Europe. C’est pour cela que les joueurs marocains tournent souvent entre 60 et 90 ms de ping, alors qu’avec des serveurs en Afrique du Nord, ce chiffre pourrait être nettement plus bas. La marge de progression existe, mais elle dépend de décisions d’infrastructure qui n’ont pas encore été prises. F. N. H. : Quelles sont aujourd’hui les limites techniques et structurelles qui empêchent le Maroc d’offrir une expé- rience gaming compétitive au niveau international ? H. B. : D’abord, l’infrastructure réseau : jouer sur des serveurs européens crée mécani- quement un décalage de performance. Rapprocher les serveurs, optimiser le rou- tage, renforcer l’interconnexion locale et inté- grer des solutions anti-cheat certifiées sont des conditions essentielles pour offrir une expérience compétitive de qualité. Ensuite, la relation avec les éditeurs. Pour qu’ils installent des serveurs ou organisent des compétitions depuis le Maroc, ils ont besoin de garanties techniques solides : hébergement fiable, sécurité élevée, conti- nuité de service, et surtout une coordina- tion claire entre opérateurs, data centers et institutions. Aujourd’hui, cette coordination
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