RST 17 Roots Summer Trip

pensait en assonances et en allitération. Pas moyen dʼaccepter la moindre petite énumération, sur le trajet dʼune route de campagne sans un chat à la ronde. Un matin pareil, dans ce beau pays de la Gironde. Une fois quʼil fut arrivé à la magnifique BIBLIOTHEQUE, hors de lʼespace et du temps, Jean se sentit mieux. Cʼétait un bâtiment aussi âgé que sa voiture. Elle avait une banalité hors du monde. Une banalité quʼon ne reproduit plus de nos jours. Des murs, un toit de grandes fenêtres et quelques portes. Pourtant il le savait, cʼétait un lieu mythique. Ici les hommes, les femmes et les enfants devenaient tous les sujets dʼune expérience sociale divine. Chacun peu importait son niveau de connaissance, dʼintérêt, de richesse matérielle ou morale, était confronté au Savoir…Derrière les portes vitrées mortellement mornes se cachaient les trésors du langage. Il passa le sas sans un mot. Jusquʼil y a peu, il nʼavait pas saisi la portée symbolique de ce lieu ouvert à tous et si facile dʼaccès. Ici il trouverait le vocabulaire pour la suite de son voyage… Le vestibule était aussi morne et fréquent quʼon aurait pu se figurer nʼimporte quelle bibliothèque de France et de Navarre. Le sol était fait de carrelage brun-jaune délavé, résonnant piteusement à chaque pas que faisaient les chaussures de notre protagoniste. Pourtant il savait que cette initiale désolation apparente nʼétait que le premier et le plus criard de tous les gardiens du verbe et du savoir. On ne juge pas un livre à sa couverture ; on ne juge pas une bibliothèque à la couleur de son sol. Les bibliothécaires assignés à lʼentrée et qui lʼaccueillirent dʼun geste élégant de la tête, étaient tout aussi bien cerbères que passeurs dʼâme, dragons ou compagnons fidèles. Passé le vestibule on accédait à la seconde épreuve. Jean nʼen avait pris conscience quʼen y retournant bien des années après sa primaire, lorsquʼil avait redécouvert malgré lui le plaisir des histoires qui tissent les liens entre les hommes et les peuples. Par omission peut- être, pour échapper à son passé sans doute, il avait évité le rayon jeunesse. Erreur monumentale et il sʼen rendait compte à présent. Quʼallait-il y trouver ? Que devrait-il affronter ? Il décida de faire un rapide état des lieux en sʼasseyant sur un canapé usé aux coussins rouge bleu et jaunes criards. Le monde semblait moins vaste à lʼextérieur que ce quʼil nʼétait à lʼintérieur de lui-même… Chapitre 3 Son identité était là, entre les pages dʼun de ces exemplaires de Oliver Twist ou de Narnia. Il sʼapprocha de la première étagère qui semblait 27

briller, parcourue par la lumière douce de la LED réglée à la parfaite intensité. Toutes ces tranches… à trancher. Nʼimporte quelle histoire serait une porte non ? Sʼil était bien fils de conte, aucun doute. Ou aller dʼabord ? Un magazine qui nʼavait rien à faire dans le rayon roman attira son attention. Il le prit entre ses mains et lʼexamina. « RST numéro 48. Réussir Sans Tricher ». Drôle de nom pour un magazine, drôle de numéro aussi… Enfin. Il le mit sous son bras, choisit quelques romans de voyage et dʼaventures de Jules Vernes, pour faire bonne mesure, et retourna sʼasseoir sur le canapé. Il ouvrit le roman et mit à lʼintérieur le petit magazine quʼil ouvrit également, ni vu ni connu. Il était toujours tenté par ces bizarreries qui sortaient de nulle part de temps à autres. Cela lui arrivait bien moins souvent depuis quʼil était devenu majeur mais le mystère avait toujours fait partie de sa vie. Ce magazine quʼil commença à feuilleter lui rappela sa propre situation, ici entre tous ces monuments du roman jeunesse le magazine semblait perdu, pas à sa place. Et dans le magazine cʼétait comme dans sa tête, il y avait de tout, beaucoup de rire et dʼidées, de belles photos mais aussi des larmes retenues. Il regarda plus attentivement le numéro des pages et revint au sommaire. Il lut lʼédito, le rédac chef disait quʼaprès tout ce temps le prochain numéro serait édité avec la collaboration dʼune maison dʼédition prestigieuse et quʼune exposition serait consacrée à retracer la création du magazine ainsi que lʼœuvre dʼart éphémère quʼavait produit lʼartiste, un projet sʼétendant sur plusieurs kilomètres de long. Cela le fit sourire, puis tournant la tête il lut le sommaire et, écrit en lettres italiques « Au bout du Conte – Voyage de Jean peu ordinaires ». Surpris il alla à la page correspondante. Il y lut la première page qui se terminait par « …et il sut quʼil devait créer son identité luimême et pour cela il avait besoin de… » la page suivante était arrachée. Sa formule magique à demi finie, quʼest ce quʼil pouvait bien y avoir derrière ces étranges manigances. Il alla à la toute fin du magazine. Rien. Désormais il se sentait encore un peu plus perdu. On cherchait à orienter son chemin. Quelquʼun avant lui, peut-être le petit poucet lui- même, avait eu lʼaudace de laisser des petits cailloux à suivre. Son aventure était interrompue par tant de bizarreries quʼil sut que cʼétait le meilleur moment dʼavancer. Comme le petit poucet avant lui, il décida de marquer dʼun signe ce magazine et le remit à sa place. Il emprunta Jules Vernes et sʼen alla sans dire un mot. Le passage à la bibliothèque était achevé mais représentait une nouvelle ouverture béante dans un futur incertain. Revenu dans sa voiture, il pesta contre sa capacité à se laisser distraire par les moindres stimuli sensoriels et à attendre dʼêtre au bord du

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