RST 17 Roots Summer Trip

précipice pour effectuer la moindre action qui pourrait le sauver de lui- même. Fallait vraiment être dingue pour vouloir trouver son identité dans un livre au hasard dans une bibliothèque. Son estomac sʼétait serré sur lui-même. Il valait mieux que ça. Il se rendit compte quʼil tenait bien trop fort son livre nouvellement emprunté. Chapitre 4 Sa main le brûlait. Il lâcha le livre sur le plancher de lʼhabitacle, et le bouquin sʼouvrit en grand. Il crut halluciner, il manquait des mots sur la page. Pas de manière hasardeuse, pas pour marquer des fins de paragraphes ou de chapitre. Cʼétait comme sʼil manquait des parties de lʼhistoire. Il aurait juré que ça nʼétait pas le cas encore quelques instants plus tôt, toujours à la médiathèque. De la fumée se mit à sortir dʼentre les feuilles, une odeur de sel de mer se répandant dans la voiture. Jean sentit son siège se mettre à tanguer. De lʼeau sʼinfiltrait dans lʼhabitacle pourtant il faisait beau dehors. Il ouvrit la porte du véhicule, sortit et se saisit du livre. 20 000 lieues sous les mers ! Voilà lʼexplication ! Après avoir regardé plus attentivement les pages du bouquin il se sentit attiré par le papier. Son visage sʼapprocha de lʼouvrage. Le nom dʼun des personnages avait disparu. Sa main se mit à coller à la couverture. « Quʼest-ce que cʼest que ça ? ». Il nʼarrivait plus à la décoller, lʼodeur de sel marin se renforçait petit à petit lʼenvoutant et le faisant chavirer de gauche à droite. Sa main sʼenfonçait maintenant littéralement dans la couverture du livre, tandis que des mots commençaient à se répandre entre ses doigts. Sa chair blanchissait et se mettait lentement à disparaître en brillant. Il chercha à jeter le livre, confus et plein de stupeur mais cela nʼeut dʼautre effet que de le faire tomber lui-même au sol, les mains désormais enfoncées pleinement dans le bouquin. Il sentait que là ou étaient censées se trouver ses extrémités il nʼy avait désormais plus quʼune sensation aqueuse, une piscine ou un océan de mots et dʼoubli. Il cligna des yeux, le sol goudronné semblait désormais se mouvoir indépendamment des lois physiques les plus élémentaires. Jean avait la sensation dʼêtre sur un matelas gonflable, ses bras disparaissaient désormais et il regarda ses jambes sʼenfoncer doucement dans ce qui était auparavant du goudron mais désormais pas tout à fait de lʼeau. Lʼodeur de sel était plus forte encore, un vent se leva, le soleil accentua son silencieux impact lumineux et Jean se vit disparaître tout à fait, le regard plongé dans son livre. Ses derniers mots furent entendus par de curieux moineaux et un 29

nonchalant pigeon. Dans une dernière tentative de se libérer il proféra avec dépit : « Tout mais pas ce Jules Vernes là ! Jʼai horreur des profondeu… » Puis le silence. Jean avait peut-être trouvé bien malgré lui la suite de sa quête identitaire en touchant au classique ainsi quʼaux méandres des fonds marins. La magie toute ordinaire venait de faire sortir du réel Jean qui cherchait encore le matin même à la trouver, à se retrouver. Chapitre 5 Jean se réveilla violemment, secoué par un ensemble de sensations désagréables. Il entendit le bruit des vagues avant même dʼouvrir les yeux et avala une goulée dʼeau salée quʼil recracha immédiatement. Il se mit à tousser alors que ses paupières se décollaient avec difficulté. Rien ne lʼavait préparé à ce quʼil aperçut. Il scruta immédiatement lʼhorizon devant ses yeux. Il flottait littéralement dans une mer remplie de livres ouverts, immenses, et de pages arrachées qui nageaient en ondulant telles des méduses de papier. Il se surpris lui-même en se rendant compte quʼil était toujours accroché à lʼouvrage qui lʼavait conduit ici. Cependant il était retourné et ouvert et lʼintérieur ressemblait à une fenêtre déformée du monde réel, il voyait sa voiture, le parking et le bâtiment de la bibliothèque. Il en eu la nausée et lâcha le précieux ouvrage, la fenêtre sur son passé disparue petit à petit. Cependant il se remit à flotter et une vague le propulsa dans un immense livre ouvert lui aussi. Les jours passèrent. Jean ne faisait rien mais ne sentait pas la faim. Le temps passait au rythme de la traversée. Il ne savait pas où il allait. Ses médicaments lui manquaient de plus en plus. Il nʼavait même plus un gâteau ou un livre à lire. Tous les mots écrits, les inscriptions dans cette mer de papier étaient illisibles. Il essayait de dormir comme il le pouvait, bringuebalé par les mouvements des pages sur lʼeau. Il rêvait de ses parents, de sa chambre, de ses collections de jouets. Il sentait en se réveillant quʼil avait déjà vécu tout ce quʼil avait à vivre là-bas. « Allez je peux pas me faire à lʼidée de pas retrouver le chemin… Cʼest pas comme ça que je vais retrouver mes origines ». Des pensées tournaient en rond. Il sʼimmobilisa ce matin-là. Il nʼen pouvait plus. Alors il se dit quʼil était obligé de plonger. Il sauta dans lʼeau dʼencre. Il sentit la dissolution arriver de nouveau. Il lʼaccepta. Il ne serait plus quʼune goutte parmi les gouttes et un bout dʼhistoire parmi tous ces livres oubliés. « Voilà la fin du voyage, jʼaurais du mʼen douter, je nʼétais pas issu du réel mais dʼune histoire dont on a oublié lʼexistence ». Pas de

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