ECONOMIE
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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 22 MAI 2025
Propriété intellectuelle «Beaucoup de médicaments n’existeraient pas sans un système de brevets»
Autre élément à garder à l’esprit : les brevets ne sont pas distri- bués à tour de bras et n’importe comment. La loi n° 17-97 pré- voit des conditions de délivrance des brevets et les examinateurs de l’OMPIC exercent un contrôle minutieux qu’il convient de saluer, lors de l’examen des demandes de brevet. Seules les inventions répondant à de réelles exigences, notamment en termes de nou- veauté et d’activité inventive, accèdent à la protection par le brevet. F. N. H. : Quels sont les principaux obstacles qui entravent encore l’accès aux médicaments innovants dans les pays à faible reve- nu et comment les flexibi- lités de l’ADPIC, telles que l’exportation parallèle ou les licences obligatoires, peuvent-elles être exploi- tées plus efficacement pour y remédier ? Me D.S.Z. : Cela étant précisé, il ne faut pas être naïfs et tous les titulaires de brevets portant sur des médicaments ne sont pas aussi responsables qu’on pourrait le souhaiter. Ce ne sont d’ail- leurs visiblement pas les seuls, quand l’on pense aux récentes polémiques sur les prix des car- burants, sur ceux de la viande ou encore les spéculations sur les prix des aliments à l’approche des fêtes. D’où les flexibilités pré- vues par les ADPIC en matière de brevets sur les médicaments. Les licences d’office sont d’ail- leurs expressément prévues par l’article 67 de la loi n°17-97 rela- tive à la propriété industrielle. Lorsque l’intérêt de la santé publique l’exige, et que les médi- caments ne sont mis à la dispo- sition du public qu’en quantité ou qualité insuffisante, ou à des prix anormalement élevés, ces brevets de médicaments peuvent être exploités d’office. La déci- sion relève de l’ «administration chargée de la santé publique» , soit le ministère de la Santé. Je suis désolé de le rappeler, mais il faut cesser de fantasmer en imaginant que le droit des brevets existe uniquement pour enrichir de puissants laboratoires
Trente ans après la signature de l’accord ADPIC à Marrakech, la ville ocre a accueilli le 3 ème Sommet mondial sur la propriété intellectuelle et l’accès aux médicaments. L’occasion de rappeler l’importance d’un système de brevets équilibré, jugé indispensable à l’innovation pharmaceutique. Entretien avec Me Daoud Salmouni Zerhouni, avocat au barreau de Paris et conseiller en propriété industrielle agréé auprès de l’OMPIC.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Marrakech a accueilli le 3 ème Sommet mondial sur la pro- priété intellectuelle et l’accès aux médicaments. En quoi l’accord ADPIC a-t-il modi- fié l’accès aux médicaments essentiels dans les pays en développement, et quelles actions concrètes devraient être entreprises pour en améliorer les effets ? Me Daoud Salmouni Zerhouni : Il faut se féliciter que Marrakech accueille un tel sommet et soit le théâtre d’un débat aussi essen- tiel, non seulement au Maroc mais également dans le monde. D’ailleurs, je relève le clin d’œil qui a été fait, puisqu’on se souvien- dra que c’est à Marrakech que l’accord ADPIC a été signé. Il est souvent affirmé que les bre- vets d’invention seraient la source
de tous les maux en matière d’ac- cès au médicament. Cela est évi- demment caricatural. L’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord ADPIC) consacre la pro- tection par les brevets. Toutefois, cet accord prévoit des flexibili- tés pour permettre, à certaines conditions, de faciliter l’accès aux médicaments. Il faut au préalable se souvenir, ce qui est parfois perdu de vue, que le brevet, qu’il porte sur des médicaments ou dans d’autres domaines, n’est pas un avantage indu ou injustifié. Il s’agit d’un contrat entre l’État (et au sens large la société) et l’inventeur, par lequel le premier accorde au second un avantage venant récompenser non seulement son innovation, ses efforts et ses investissements, mais surtout sa divulgation au public par l’inven-
teur, permettant ainsi non seule- ment de faire avancer la science, mais également d’en faire profiter la société. Cet avantage consiste en une protection de 20 ans. À l’issue de cette période (ou même avant, si le titulaire du brevet ne le maintient pas en vigueur en s’acquittant des annuités auprès de l’office des brevets), le bre- vet cesse de produire ses effets et l’invention peut alors être librement exploitée par tous. En principe, il s’agit d’une relation «gagnant-gagnant». Il n’existe pas d’avancées et de recherche médicale sans un système incitatif. C’est précisé- ment le rôle des brevets. Et de fait, beaucoup de médicaments n’existeraient pas sans un sys- tème de brevets. Je crois qu’il faut garder cette vérité à l’esprit lorsqu’on aborde la question, ô combien complexe, des brevets et de l’accès aux médicaments.
Il nous faut une chambre spécialisée des brevets au sein des juridictions de commerce, exclusivement compétente pour examiner la validité des brevets.
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