FNH N_ 1211

BOURSE & FINANCES

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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 16 OCTOBRE 2025

Chèques sans provision La fin du tout-pénal

Vers une nouvelle culture du paiement

La réforme du chèque s’inscrit dans une dynamique plus large de refonte de la culture du paie- ment au Maroc. Elle conjugue dépénalisation encadrée, régula- tion économique et confiance res- taurée. Le gouvernement entend en effet appuyer cette transition par des outils de suivi renforcés : registre des incidents, dispositifs de scoring et système central des chèques irréguliers (SCCI). Autant de leviers pour responsabiliser les acteurs sans criminaliser les diffi- cultés de trésorerie. «L’objectif n’est pas de dérespon- sabiliser, mais de responsabiliser autrement», insiste Me Bennani, soullignant que «les entreprises doivent pouvoir recouvrer leurs créances dans un cadre civil efficace, tandis que les mauvais payeurs doivent être identifiés et suivis». Reste une question cru- ciale : le transfert massif des litiges vers la justice civile permettra-t-il réellement d’alléger les tribunaux et de sécuriser les transactions ? Le succès de la réforme dépen- dra, selon plusieurs observateurs, du renforcement des juridictions civiles : digitalisation, simplifica- tion des procédures, injonction de payer accélérée et encadre- ment clair des délais. Sans cela, le risque est de déplacer la satu- ration du pénal vers un civil déjà congestionné. Pour les PME, souvent premières victimes des impayés, la clé réside dans l’efficacité de la régularisa- tion. « Il faut que le recouvrement devienne simple, rapide et peu coûteux. Sinon, cette réforme res- tera une bonne idée sur le papier» , avertit Me Bennani. Quoiqu’il en soit, la dépénalisation partielle des chèques sans provision ne vise pas à banaliser l’impayé, mais à replacer la responsabilité finan- cière au centre du jeu, loin du réflexe carcéral. Si le texte atteint ses ambitions, il pourrait libérer les tribunaux, fluidifier les échanges commerciaux et améliorer le cli- mat des affaires. Mais sa réussite reposera sur la capacité de tous (entreprises, banques, justice et citoyens) à faire du chèque un ins- trument de confiance retrouvée. ◆

La réforme du Code de commerce consacre une nouvelle approche du chèque sans provision : dépénalisation encadrée, accords à l’amiable et amende allégée. Le gouvernement espère fluidifier les affaires et renforcer la sécurité juridique des transactions.

Par Y. Seddik

 Avec la réforme du Code de commerce, le Maroc met fin à la criminalisation systéma- tique des incidents de paiement.

L

e Maroc tourne officiellement la page du tout-répressif. Adopté par le Conseil de gouvernement le 9 octobre, le projet de loi révisant le Code de commerce confirme la nouvelle philosophie du traitement des chèques sans provision. La priorité est désor- mais à la régularisation et à la conciliation, avant toute poursuite pénale. «L’objectif est de restau- rer la confiance dans le chèque comme moyen de paiement, à travers la réhabilitation de son cadre juridique et la rationalisa- tion des poursuites», a déclaré Mustapha Baitas, ministre délé- gué chargé des Relations avec le Parlement. En effet, la réforme du chèque sans provision, engagée depuis 2023 sous l’impulsion du ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi, entre dans sa phase d’application concrète. Elle marque une évolu-

tion majeure du droit commercial marocain, désormais aligné sur les standards internationaux. Ainsi, la suppression quasi totale des peines de prison devient la règle dès lors que le paiement est régularisé. Le débiteur peut solder sa dette et s’acquitter d’une amende unique de 2% du montant du chèque, contre 25% auparavant, ce qui met définiti- vement fin aux poursuites. Autre évolution notable : la possibilité d’accords à l’amiable est ouverte à toutes les étapes de la procé- dure, y compris après la condam- nation, favorisant une résolution négociée plutôt qu’une sanction automatique. Enfin, la réforme exempte de toute poursuite pénale les incidents de paiement intervenus entre conjoints ou ascendants, consacrant une dis- tinction claire entre litiges fami- liaux et infractions commerciales. Cette nouvelle approche inverse la logique punitive historique du système judiciaire marocain. Elle consacre la réparation du préju- dice comme issue principale, et

non plus la répression du débi- teur. Les chiffres communiqués par le gouvernement traduisent l’am- pleur du phénomène : en 2024, près d’un million de chèques ont été refusés pour absence de pro- vision, sur un total de 30 millions d’opérations. Plus de 180.000 plaintes ont été déposées depuis 2022, entraînant la détention de près de 59.000 personnes. Une réalité jugée «anormale» par de nombreux juristes. «La prison ne peut pas être une solu- tion à un incident économique ou à une erreur de gestion. Cette réforme corrige une distorsion profonde entre droit des affaires et droit pénal» , analyse Me Aïda Bennani, avocate au barreau de Casablanca. Pour elle, l’enjeu dépasse le simple allègement des prisons : «C’est une avancée vers une justice plus adaptée aux réalités économiques, à condi- tion que les garde-fous néces- saires soient mis en place pour éviter les dérives et protéger les créanciers».

La prison ne peut pas être une solution à un incident économique ou à une erreur de gestion.

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