BOURSE & FINANCES
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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 16 OCTOBRE 2025
F. N. H. : La hausse du crédit aux ménages (3%), conjuguée à une aug- mentation plus modérée pour les entreprises pri- vées (1%), traduit-elle un déséquilibre dans la dynamique du finance- ment de l’économie ? Que révèle-t-elle de la confiance ou des fragi- lités des acteurs écono- miques ? A. K. : Plusieurs facteurs structurels et conjoncturels expliquent la croissance faible du crédit bancaire au secteur privé marocain au cours de la dernière décennie, en parti- culier entre 2022 et 2024. Ces facteurs proviennent à la fois de la demande de crédit, c’est- à-dire des entreprises et des ménages, et de l’offre, c’est-à- dire des banques. La politique monétaire accommodante de Bank Al-Maghrib a également joué un rôle important dans cette évolution. Du côté de la demande, la faiblesse de la demande sol- vable de crédit a constitué un frein majeur. Les entreprises et les ménages ont vu leur capacité d’endettement et de remboursement se détériorer en raison de plusieurs fac- teurs défavorables. Le niveau d’endettement global reste élevé, traduisant un effet de levier important. Dans certains segments, la demande semble saturée. Le marché du loge- ment, par exemple, a atteint un stade de maturité qui limite le volume des nouveaux emprunts immobiliers. De plus, le ralentissement économique persistant depuis la crise de 2008 a affaibli les perspec- tives de revenus futurs, ce qui réduit l’incitation à investir ou à consommer à crédit. Ces éléments ont détérioré la qua- lité de la demande : de moins en moins d’agents remplissent les critères exigés pour obtenir un financement bancaire. Le besoin de financement reste présent, mais une grande par- tie des entreprises, surtout les petites et moyennes, sont déjà
Selon des études internationales,
un niveau de crédit privé trop élevé par rapport au PIB constitue souvent un indicateur précurseur de crise bancaire.
lourdement endettées et font face à des anticipations éco- nomiques défavorables. Ces contraintes les poussent à limi- ter leurs nouvelles demandes de crédit d’investissement ou de trésorerie. Du côté de l’offre, les banques marocaines ont adopté une attitude de prudence accrue. Cette position s’est traduite par un rationnement du cré- dit, particulièrement à l’en- contre des emprunteurs jugés risqués. Plusieurs éléments expliquent cette prudence. Les marges d’intérêt nettes se sont progressivement réduites, ce qui a affaibli la rentabilité du métier de prêteur. Ce recul des marges s’explique notamment par le maintien d’un environ- nement de taux d’intérêt bas, conséquence de la politique monétaire accommodante. Dans un tel contexte, la renta- bilité du crédit bancaire dimi- nue et la politique monétaire perd de son efficacité. En rai- son de marges plus étroites et d’un risque perçu plus élevé, les banques ont préféré limiter leur exposition en restreignant les prêts aux emprunteurs fra- giles. Leur priorité est devenue la préservation de la qualité du portefeuille plutôt que l’expan- sion du volume de crédit. Par ailleurs, la détérioration de la situation financière d’un grand nombre d’entreprises et de ménages a conduit les
banques à durcir davantage leurs conditions d’octroi. Ce mouvement s’est traduit par une «fuite vers la qualité» des emprunteurs. Les banques ont réorienté leurs financements vers les clients les plus sûrs et réduit leur offre globale. Les grandes entreprises bien éta- blies et les ménages disposant de garanties solides, notam- ment immobilières, ont conti- nué d’accéder au crédit dans des conditions favorables. En revanche, les petites et moyennes entreprises ont ren- contré des difficultés crois- santes pour se financer. Dans le même temps, la demande de crédit a progressé chez les grandes entreprises, tandis qu’elle est restée faible chez les très petites et moyennes entreprises. Cette concentra- tion du crédit sur les emprun- teurs de premier rang a mar- ginalisé une partie du tissu productif national. Enfin, ce comportement de prudence s’est accompagné d’une réorientation stratégique des grandes banques maro- caines. À partir des années 2010, plusieurs établisse- ments ont ralenti leur expan-
sion de crédit sur le marché domestique et ont cherché de nouveaux débouchés, notam- ment à travers les finance- ments accordés à leurs filiales en Afrique subsaharienne ou les placements dans les titres d’État. Cette évolution illustre un glissement progressif du rôle traditionnel du crédit ban- caire dans le financement de l’économie nationale. F. N. H. : Dans quelle mesure cette expansion du crédit alimente-t-elle la croissance réelle, et à partir de quel point pour- rait-elle devenir un fac- teur de tension sur les prix ou de vulnérabilité financière ? A. K. : De manière générale, un secteur bancaire dyna- mique soutient l’activité réelle. L’augmentation du crédit au secteur privé exerce un effet positif sur la croissance du PIB non agricole. Le crédit alimente l’investissement des entreprises, finance la tréso- rerie des petites et moyennes entreprises et soutient la consommation des ménages. Ces mécanismes stimulent la demande intérieure et favorisent la croissance. L’expansion modérée du cré- dit observée en 2025 peut donc contribuer, dans une certaine mesure, à la reprise économique. Cette évolution
Le besoin de financement reste présent, mais une grande partie des entreprises, surtout les petites et moyennes, sont déjà lourdement endettées et font face à des anticipations économiques défavorables.
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