« L’acte d’achat est un acte militant. J’aime aussi l’idée d’un contrat social entre la ville et la campagne.» Patricia Bidaux Présidente d’AgriGenève
Cette concurrence, elle se concrétise comment ? Vous le voyez très bien quand vous allez dans un supermarché. Vous avez, côte à côte, un bien alimentaire suisse et un autre qui vient de l’étranger. Même s’ils sont tous les deux bio, ils ne sont pas produits selon les mêmes critères et avec les mêmes normes sociales. D’où la différence de prix. Quand vous êtes dans ce supermarché et que vous voyez cette concurrence de marché, vous en voulez à qui ? Je dirais que j’en veux à la personne qui vient à la ferme, qui me félicite pour la qualité de mes volailles et qui se rend ensuite dans une grande surface parce que, finalement, cette personne achète très peu à la ferme. L’acte d’achat est un acte militant. J’aime aussi l’idée d’un contrat social entre la ville et la campagne. Cela dit, je ne ferai jamais aucun reproche à ceux qui doivent se serrer la ceinture.
J’ai grandi à Onex, à Cité-Nouvelle, de mère suisse et de père immigré espagnol, je sais ce que manger modestement veut dire, mais les gens qui connaissent des difficultés ne sont pas forcément ceux qui n’achètent pas de bons produits, parce qu’ils savent que le bon produit, au niveau des légumes par exemple, ça dure plus longtemps. Et il y a un nombre certain de personnes qui ont les moyens. Que dites-vous de la colère qui a grondé en Europe et en Suisse ? J’ai écrit à mes collègues des chambres d’agriculture de l’Ain et de la Haute-Savoie pour leur dire ma solidarité. En tant que pré- sidente d’AgriGenève, j’ai, depuis l’automne passé déjà, attiré l’attention de l’Union suisse des paysans, notamment, sur ce qui est en train de germer dans les campagnes : un ras- le-bol, une lassitude. Pour moi ce qui est le plus important, dans cette colère qui monte, c’est que les paysans restent unis pour faire face ensemble. Ce n’est pas évident, parce que les prix font que les tensions sont vives au sein des familles. Vous sentez le décalage ville-campagne ? Bien sûr. Pour les pesticides on est d’accord : on a aujourd’hui pris beaucoup de recul sur l’utilisation des produits phytosanitaires. Les avancées technologiques permettent de mieux gérer leur utilisation qu’au siècle dernier, où les connaissances étaient insuf- fisantes. Une nouvelle tendance arrive avec les citadins qui veulent manger moins de viande. Ce qui ne sera pas sans impact sur la disponibilité des fertilisants naturels comme le fumier ou le lisier, puisque les élevages vont diminuer. Il faudra pourtant bien continuer à nourrir la terre pour produire des biens ali- mentaires. Devra-t-on importer du fumier ? La nature est un tout, un équilibre à respec- ter. Comme le corps humain. Je le sais, j’ai été infirmière.
AGRIGENÈVE AgriGenève est la faîtière de l’agriculture genevoise. Elle est en contact permanent avec l’USP, l’Union suisse des paysans, et fait partie d’AGORA, l’association réunissant tous les groupements et organisations de Suisse romande liés à l’agriculture. AgriGenève défend les intérêts de la profession dans les 389 exploitations agricoles du canton, qui génèrent 1636 emplois. Plus d’un tiers du territoire est en surface agricole utile, soit un total de 10 000 hectares. L’agriculture genevoise est avant tout axée sur les grandes cultures, le maraîchage et la viticulture.
avril 2024 - èremagazine 14
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