UGAG 100 ANS

Maître Raoul Briolin est membre de l'UGAG depuis le début des années '70. Il fut un proche d'Henriette Dorion-Sébéloué et de Gaston Monnerville. Discrètement placé dans son bureau, un petit drapeau de la Guyane… Il me dit, d'entrée : « Je pense que pour honorer quelqu'un, il faut savoir synthétiser ce qu'étaient sa vie et son œuvre, ce que peu de nos contemporains savent faire, enclins qu'ils sont à déformer la réalité à leur avantage. Sa vie, ce fut un combat pour la dignité. Celle de l'homme noir qu'il était, mais surtout celle de l'homme en général, un combat contre toutes les inégalités. C'était un combat- tant obstiné de la dignité humaine et de la liberté. C'est lui qui a signé le dernier départ d'un convoi de bagnards pour la Guyane, lorsqu'il était Sous-secrétaire d'Etat aux Colonies, mais il s'est éga- lement battu pour que ce bagne, qu'il considérait comme une plaie, disparaisse définitivement du paysage Guyanais. Surtout, il a sorti la Guyane du néant, de l'ignorance et de l'oubli.» Jean-Emmanuel Hay: Gaston Monnerville, que vous avez bien connu, fut l'un des hommes politiques français les plus importants du XX e siècle, et pourtant sa mémoire ne vit quasiment qu'à tra- vers ceux qui l'ont fréquenté, qui œuvrent pour que l'on se souvien- nent de lui. Maître Raoul Briolin : Gaston Monnerville est né à Cayenne en 1897 et il est mort à Paris, le 7 novembre 1991. Ce n'est pas ano- din, de préciser la date : Yves Montand, chanteur et acteur célèbre, est décédé deux jours plus tard et comme je m'en étais douté, les journaux n'ont parlé que de Montand. Le décès de Gaston Monnerville a été éclipsé dans la presse française. Il n'avait d'ailleurs plus accès aux médias depuis qu'il s'était opposé au Général de Gaulle; des prétendus gaullistes ont maintenu cette

omerta, bien que Gaston Monnerville ait été durant 22 ans locatai- re du Conseil de la République, puis du Sénat.

Une petite anecdote : il y a une esplanade et un buste de Gaston Monnerville, à Paris. J'étais présent lorsque cette statue a été inau- gurée par Bertrand Delanoë, alors maire de Paris. Le buste fait face au Sénat, mais il n'a pas été installé dans les Jardins du Luxembourg: son regard porte vers là, depuis l'extérieur.

Jean-Emmanuel Hay: Gaston Monnerville a-t-il parfois évoqué avec vous son enfance guyanaise?

Maître Raoul Briolin: Le père de Gaston Monnerville était un fonc- tionnaire colonial rebelle, d'origine antillaise, qui a été mis au pla- card, mais pas révoqué. On exilait en Guyane ceux qui avaient mau- vais esprit. En ce qui me concerne, j'ai découvert avec du recul que certains de mes professeurs avaient fait l'Indochine, l'Algérie, avec un parcours de contestataires : on les avait éloignés en Guyane, eux aussi. L'un d'eux nous avait appris une chanson. Bien plus tard, en Espagne, j'ai découvert que c'était un chant révolutionnaire espagnol. Mais nous n'en savions rien sur le moment. Le père de Gaston Monnerville ne voulait surtout pas que son fils devienne fonctionnaire, c'est pourquoi celui-ci a choisi de devenir juriste. Monnerville m’a dit qu’il était devenu, très jeune, l’ami des gens de toutes les couleurs, comme l’abbée Grégoire. Chez nous, en Guyane, il y avait un système établi : les épiceries étaient tenues par des Chinois, et il y en avait à tous les coins de rue. Vous alliez vous y ravitailler en fonction de vos besoins quotidiens, le paie- ment se faisait en fin de mois. Quand vous aviez des problèmes, vous viviez un peu davantage à crédit, en quelque sorte. L'un d'entre-eux avait dit en créole à son père, en difficultés financières

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U N I O N D E S G UYANAIS ET DES A M I S D E L A G U Y A N E

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