UGAG 100 ANS

une horreur. Il préfigure pour moi les camps de concentration nazis. Ma grand-mère y travaillait, elle y a rencontré Dreyfus, à l'Ile du Diable (Iles du Salut). Ma mère a travaillé à Saint-Laurent-du-Maroni où se trou- vait en réalité le bagne. Albert Londres, avec son long reportage sur la condition des bagnards a contribué à sensibiliser le monde entier sur ce problème. Pour Monnerville, le bagne était un « chancre hideux sur le visage déformé de la France Équinoxiale (le nom de la Guyane, à l'époque) car, il faisait fuir l'immigration saine et féconde comme les capitaux métropolitains et sclérosait la vie économique.» Il se battra jusqu'à obtenir un décret abrogeant le bagne de Guyane.

position vis-à-vis des hommes de couleur : noirs, blancs, jaunes, métisses ! En acceptant sa proposition, j’ai découvert que Gaston Monnerville adorait l’Abbé Grégoire. Laïc et athée, il avait même intro- duit ce personnage dans sa loge maçon- nique. Je me suis dit: « Quand même, ce Monnerville me plaît !». Il m'a officiellement invité chez lui pour une prise de contact. J'avais dit à Henriette : « Je vais voir dans quel esprit il veut que j'intervienne, puis je déci- derai si j'accepte. Ce n'est pas lui qui posera ses condi- tions, c'est moi ! » J'ai rencontré un être remarquable. Un homme de petite taille, et comme tous les petits, parfois il se dressait sur la pointe des pieds. Il était fascinant. Il vous regardait bien en face, il écoutait, puis il posait des questions. Si vous aviez la réponse, vous le sentiez satisfait. Henriette m'avait recommandé, il voulait me tester, bien entendu, afin que je n'aille pas dire n'im- porte quoi sur le tombeau de quelqu'un qui avait la stature, la dimension de l' Abbé Grégoire à ses yeux. J'ai accepté, j'ai fait ce discours (photo page 14). A par- tir de ce moment-là, à chaque fois qu'il y a eu une manifestation, j'ai toujours fait partie de la délégation officielle. Il s'était passé quelque chose, un déclic intel- lectuel entre Monnerville et moi. Il m'avait séduit. Parmi les déplacements qui m'ont marqués, celui de Champagney, en Haute-Saône, où se trouve la Maison de la négritude et des droits de l'homme. Imaginez que ce village paumé, où l'on n'avait jamais vu un nègre, a demandé l'abolition de l'esclavage dans son

Jean-Emmanuel Hay : Gaston Monnerville admirait l'Abbé Grégoire, Victor Schoelcher et Félix Eboué.

Maître Raoul Briolin : Monnerville a fait son possible pour que Victor Schœlcher entre au Panthéon le même jour que Félix Eboué. Pendant très longtemps nous avons fréquenté la famille Schœlcher, parce que tous les ans il y a la journée du souvenir. Nous sommes allés régulièrement à Fessenheim, ville d'où les Schœlcher sont originaires. Je ne sais pas si Monnerville avait une réelle admiration pour Schœlcher, il estimait en tous cas qu'il avait été quel- qu'un d'important, historiquement parlant, à propos de l'abolition de l'esclavage. Il avait du respect pour lui. A propos de la statue de Schœlcher, à Cayenne, j'ai une petite anecdote. Lorsque nous étions lycéens, nous faisions « parler » les statues en passant devant. Schœlcher montrait la colline du Fort Cépérou au jeune esclave affranchi en lui disant : « Tu sais, il y a encore du travail pour toi, là-haut ! » et le jeune affran- chi lui répondait : « Moi, travailler la terre ? » et cela nous faisait bien rire ! Nous avions tous le même dégoût du travail agricole, assimilé à l'esclavage. Schœlcher avait beaucoup fait, mais il avait pourtant laissé voter une loi indemnisant les propriétaires d'es- claves, lors de l'abolition. C'est un autre débat. A propos de l 'Abbé Grégoire, voici ce que je peux dire. Nous sommes au début des années 80, il est question de transférer les cendres de l'Abbé Grégoire au Panthéon. Henriette Dorion-Sébéloué me demande si je souhaite faire le dernier discours sur sa tombe, au cimetière Montparnasse. L' Abbé Grégoire, je connais- sais ! Je connaissais son combat. Je connaissais sa

Page 20, en haut : Buste de Gaston Monnerville, face aux Jardins du Luxembourg. Page 20, dessous : Le drapeau de la Guyane, à la naissance duquel Maître Raoul Briolin a participé. Ci-dessous : Les ruines du bagne, à St Joseph, Iles du Salut. Page 22 : A Toulouse avec Pierre Monnerville, son frère aîné, Jean Martial, et un qua- trième étudiant (décembre 1916).

U N I O N D E S G UYANAIS ET DES A M I S D E L A G U Y A N E

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