cahier de doléances (article 19 du cahier de Champagney, datant de mars 1789). Il est écrit : « Les habitants et com- munauté de Champa- gney ne peuvent penser aux maux que souffrent les nègres dans les colo- nies sans avoir le cœur pénétré de la plus vive douleur». Monnerville traquait in- tellectuellement les élé- ments charnières du regard qu'avaient les Français sur l'autre, sur la colonisation. En tant que franc-maçon, il était pour l'universalité des droits de l'homme.
le pont Saint-Michel? Ne le traversez pas. Lorsque vous serez au milieu, sautez dans la Seine ! ». Il voulait lui faire comprendre qu'il allait devoir sérieusement ramer pour y arriver ! Monnerville est devenu un brillant avocat. En 1927 il sera élu président de l'Union des Jeunes Avocats et s'illustrera dans plusieurs grands procès, dont celui de l'affaire Galmot, en 1931, devant la Cour d'Assises de Nantes : les quatorzes Guyanais inculpés seront acquittés et ce sera le début de la carrière politique de Monnerville, engagé à gauche, et franc-maçon remarquable, qui, tout en étant avocat, faisait des chroniques à la radio. Il était vraiment atypique. Monnerville a très tôt quitté la Guyane, qui était encore une colonie française à l'époque. Elève brillant, il est reçu en 1912 au concours des bourses métropolitaines et vient à Toulouse, où il achève ses études secondaires comme boursier, avant d'intégrer les facultés de Lettres et de Droit de l'Université de Toulouse, dont il ressortira diplômé, avec les félicitations du jury, avant de s'inscrire au Barreau de Paris en 1921. Monnerville a véritablement commencé sa vie professionnelle et sa vie intellectuelle en France. C'est sans doute ce qui explique son absence de communautarisme, bien qu'il ait gardé des liens étroits avec des Guyanais, comme Félix Eboué, qui était aussi franc-maçon, ou le docteur Jean Martial (en 1946, l'hôpital de Cayenne portera son nom). Ils avaient étudié ensemble: on les appelait « les petits gris », parce qu'ils étaient toujours vêtus de la même façon. C'est une anecdote que Monnerville m'a rapportée. Philippe Martial, le fils de Jean, a été pour ainsi dire adopté par Gaston Monnerville, qui se sentait un peu responsable d'avoir envoyé son meilleur ami en mission, où il était mort de maladie, si jeune. Monnerville fit exfiltrer en zone sud les enfants de Félix Eboué, Gouverneur du Tchad qui avait rallié dès le début la France Libre, ce qui lui valu d'être déchu de la nationalité française et condamné à mort par contumace, par le régime de Vichy. Il ne faut pas oublier qu'il fut le premier résistant de l'empire colonial, à la tête d'une véritable armée : c'est lui qui fit basculer la guerre. L'empreinte de Félix Eboué est beaucoup plus marquée, en Guyane, que celle de Gaston Monnerville, parce que son épouse et sa fille sont revenues y vivre, tandis que, pour les Guyanais, la carrière de Monnerville est rapidement devenue métropolitaine. A tel point que, lorsqu'il perd son mandat de sénateur de la Guyane, en 1948, c'est pour devenir Sénateur du Lot, dont il sera, plus tard, le Président du Conseil Général. C'était une terre radicale socialiste.
En 1958, René Coty devient Président de la République française. D'après le fonctionnement des institutions de l'époque, le prési- dent du parti que Monnerville représentait aurait dû accéder à la Présidence de la République. Il cochait toutes les cases. Gaston Monnerville était très sensibles aux ques- tions de racisme, dont il a finalement été victime de manière induite : il aurait dû devenir Président de la République française.
Jean-Emmanuel Hay: Gaston Monnerville était avocat, comme vous l'êtes, Maître Briolin.
Maître Raoul Briolin: C'est exact. Lorsque Monnerville devient avo- cat, il rejoint le célèbre cabinet de Maître César Campinchi, situé face à l'ancien Palais de Justice, dont il sera l'un des principaux col- laborateurs, entre 1921 et 1929. Gaston Monnerville est l'un des rares noirs de l'époque à s'intégrer, dans cette profession qui était essentiellement bourgeoise. À présent, elle s'est un peu paupéri- sée. Je ne dis pas démocratisée, je dis paupérisée. À l'époque, seuls les grands bourgeois étaient avocats, et souvent ils l'étaient paral- lèlement à une carrière politique (César Campinchi sera député de la Corse, Ministre de la Marine en 1937, puis Garde des Sceaux). Monnerville m'a rapporté cette anecdote. Il n'avait que le Pont Saint-Michel à traverser pour se rendre aux plaidoiries, depuis le cabinet de Maître Campinchi, qui lui aurait dit : « Mon jeune ami, si j'ai un conseil à vous donner, en quittant mon cabinet, vous voyez
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U N I O N D E S G UYANAIS ET DES A M I S D E L A G U Y A N E
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