UGAG 100 ANS

Le destin a parfois de curieux retours de justice. Il me fut donné, comme président du Conseil de la République, de présider la séan- ce où fut décidé ce double transfert, homme de couleur, compa- triote et congénère de Félix Eboué, descendants, moi aussi, de ces affranchis auxquels, il y a un siècle, Victor Schœlcher a rendu la liberté et a porté le message de la France. Je proclamais, au nom de la nation française, que Victor Schœlcher, le libérateur, repose- rait désormais au Panthéon national. Pourquoi le cacher ? En lisant à haute voix, du haut du fauteuil présidentiel, ce texte de loi, bref et clair, qui consacrait l'immortalité de Schœlcher et d'Eboué, j'étais violemment ému. Je voyais surgir autour de moi et monter comme en une résurrec- tion subite la cohorte innombrable de tous ces opprimés qui, pen- dant des siècles, avaient souffert de la servitude et qui, par ma voix devenue la leur, criaient en cet instant « Schœlcher a bien mérité de l'humanité ». Peu d'hommes, sans doute, ont connu dans leur existence une minute d'une aussi bouleversante émotion.” Gaston Monnerville avait été impressionné par ce jour de novembre 1908, alors qu’il était élève au collège de Cayenne. Son maître, Louis Fortuné, présenta à la classe un ancien élève, Félix Éboué, qualifié de “plus brillant de sa génération.” Il écrivit : “Félix Eboué, qu'une certaine timidité embarrassait visi- blement, après avoir salué et remercié son ancien maître, s'adres- sa à nous, ses jeunes compatriotes. En quelques phrases toutes de simplicité, d'intelligence et d'une émouvante sincérité, il nous dit tout ce qu'il devait à son pays natal, à ceux qui l'avaient formé, et grâce à l'enseignement de qui il était devenu l'homme que notre jeune enthousiasme admirait déjà. “ Une trentaine d’années plus tard, Monnerville fait partie des gens qui persuaderont Felix Eboué de quitter la Guadeloupe pour le Tchad : “Félix Eboué arriva fort amer à Paris. J'eus beau lui affirmer les bonnes intentions du gouvernement à son égard, il était tarau- dé par l'idée qu'il n'allait pas pouvoir continuer l'œuvre, entreprise avec tant de chaleur humaine, tant de foi, à la Guadeloupe. D'autre part, retourner au Tchad de l'enthousiasmait guère. “ C’est au Tchad, à Fort Lamy (actuelle N'Djaména) qu’ils se rencon- treront pour la dernière fois : “Au cours de la réception que Madame Eugénie Eboué et lui-même offrirent en l'honneur de la mission parlementaire… Eboué réaffirma dans son discours la volonté formelle du Tchad de rester français, et pour accentuer son propos, il releva le fait que trois hommes originaires de la plus vieille terre française d'outre-mer se trouvèrent rassemblés à Fort- Lamy en cet instant, trois fils de la Guyane : Paul Bernetel, fonction- naire au Cameroun, mit à la disposition de la mission parlementai- re pendant toute la durée de son séjour, Gaston Monnerville, représentant de ce pays au Parlement, et lui-même, Félix Eboué, gouverneur, preuve du rayonnement de l'humanisme de la France dans le monde, souligna-t-il.”

rester fidèle au message exaltant de Victor Schœlcher. C'est ce message d'humanité qui a guidé Félix Eboué et nous tous résis- tants d'outre-mer, à l'heure où le fanatisme bestial menaçait d'éteindre les lumières de l'esprit et où, avec la France, risquait de sombrer la liberté. C'est ce message qui illuminait le front de ces hommes d'outre-mer, lorsque, répondant à l'appel de leur frère Félix Eboué, ils partirent pour la croisade de la libération, surgis- sant du Tchad à travers le Fezzan, parcourant victorieusement la Libye, la Tripolitaine, la Tunisie, remontant la vallée du Rhône , ils parvinrent en Alsace, devant Colmar, patrie de Victor Schœlcher, où, mêlant leur sang rouge au sang rouge de leurs frères blancs, ils libérèrent à leur tour le berceau de leur libérateur. À l'appel de Félix Eboué, ces fils d'affranchis se jetèrent dans la lutte, non comme des mercenaires sans âme, mais comme des hommes qui, depuis Schœlcher, et grâce à Schœlcher, ont com- pris qu'il n'était pas au monde de bien supérieur à la liberté. C'est pour immortaliser ce symbole que nous avons demandé que soient désormais unis, en une même sépulture, les deux hommes qui le concrétisent à nos yeux, Victor Schœlcher et Félix Eboué. Notre piété reconnaissante a voulu réunir en un même hommage ces deux hommes qui symbolisent à la fois le geste libérateur de 1848 et ses conséquences humaines. Réalisant l'une des aspira- tions les plus anciennes des hommes de couleur, dont je me suis fait l'inlassable porte-parole, le Parlement français a décidé ce transfert au Panthéon national, synthétisant en un geste émou- vant ces cent années d'histoire de la liberté.

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U N I O N D E S G UYANAIS ET DES A M I S D E L A G U Y A N E

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