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BOURSE & FINANCES

FINANCES NEWS HEBDO

DU 4/5/6/7/8/9 ET 10 JUIN 2020

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flux ou de services offerts en gratuité pendant le confinement. Mais l'impact le plus important sera au niveau du coût du risque : la plupart des banques anticipent une augmentation des créances en souffrance de 3 à 4 points, et certaines de plus de 5 points. Si les mesures de soutien prises à ce stade soulagent les clients des banques face au choc de liquidité et leurs besoins de trésore- rie, elles ne traitent que partiellement le choc de solvabilité (pertes d'exploitation). Ce choc sera d'autant plus difficile à absorber que la durée du confinement et le profil de reprise seront longs. C'est d'ailleurs là un des principaux enjeux de la relance économique et l'objet des réflexions actuelles autour de solutions visant à renforcer les fonds propres des entreprises. F.N.H. : Quels seront les impacts sur les businessmodels des banques ? A. T. : Le consensus est fort auprès des banques sur le fait que la crise de la Covid- 19 aura un impact structurel important sur les moyen et long termes, tant sur les comporte- ments des clients, que sur les businessmodels, les stratégies et les positions concurrentielles des banques. Tous les pans du businessmodel bancaire seront impactés, que ce soit la distribution, la relation client, les modèles opérationnels, les modèles organisationnels et de collaboration (télétravail, modes de management, etc.), ainsi que les modèles de risque. Pour ma part, sans ré-enfoncer des portes ouvertes en termes d'accélération du digital ou de pérennisation de nouveaux modes de colla- boration, j'aimerais m'arrêter sur trois tendances qui me paraissent fondamentales, tant dans cette nouvelle phase de déconfinement progres- sif que dans l'après-crise. La première concerne le rôle et la valeur ajou- tée de l'humain dans la relation client. Bien évidemment, le digital aura un rôle indéniable pour donner plus d'autonomie, de souplesse et d'efficience aux clients sur des opérations et interactions 'standards'. Mais aujourd’hui plus que jamais, face à des ménages en difficulté ou des entreprises qui jouent leur survie, la valeur ajoutée du conseiller bancaire, sur des solutions bancaires et parabancaires, avec une expertise sectorielle, va être absolument cruciale. C’est réellement un moment de vérité d’une impor- tance capitale qui se joue pour les banques actuellement et qui sera à double tranchant : s’il est bien géré, cela peut-être un facteur de fidéli- sation extrêmement fort, dans le cas contraire, le client ne manquera pas d’aller chercher ailleurs dès qu'il en aura l'opportunité. Le deuxième volet concerne l’approche des

risques qui doit nécessairement s’adapter. Ce sujet est très délicat car il s’agit d’une ligne de crête qui n'est pas évidente à tenir. Un peu trop de prudence et toute la profession bancaire est accusée de ne pas jouer le jeu et de ne pas soutenir l’économie ; trop de souplesse, et ce peut être un surendettement insurmontable pour le client, un impayé pour la banque sur les anciens et nouveaux prêts et, ne l’oublions pas, un gâchis de deniers publics (compte tenu des mécanismes de garantie publique). Il y a, dès lors, des questions délicates, tant sur le plan technique que politique sur le juste équilibre entre solidarité et efficience du soutien apporté. En parallèle, le volume de demandes de crédit de relance promet d'être conséquent, et les prin- La plupart des banques anticipent une augmen- tation des créances en souffrance de 3 à 4 points, et certaines de plus de 5 points. cipaux paramètres qui fondaient les décisions de crédit – historique de la santé financière de l’entreprise, récurrence des revenus et des cash flows, garanties mobilisables – sont totalement chamboulés. Les approches de risque devront donc s'adapter vers davantage de segmentation et de ciblage, l'exploitation de données pertinentes combi- nées à une expertise sectorielle prospective, pour industrialiser davantage les décisions de crédit 'évidentes' et se focaliser sur une analyse approfondie des situations autour de la ligne de crête précédemment évoquée. Le troisième et dernier volet concerne les modèles opérationnels, qui devront être reconfi- gurés pour être plus «Lean» (sans superflu) et plus résilients. On a vu les banques réussir à absorber une charge de travail phénoménale durant la crise (plus de 400.000 demandes de report de crédits traitées en quelques semaines, ndlr), souvent avec des ressources moindres. Elles ont pu le faire car elles étaient dans une approche frugale, focalisée sur l’essentiel et itérative. Il y a donc un enjeu de pérenniser un certain nombre de ces pratiques. Quant à la résilience, il s’agira désormais de ne

pas penser exclusivement à travers le prisme de l’efficacité des coûts, mais intégrer ce paramètre supplémentaire traduisant la capacité à encais- ser un choc comme celui que nous connaissons en ce moment et la flexibilité de pouvoir se reconfigurer et continuer à opérer et servir ses clients. F.N.H. : Les banques pourront-elles rele- ver ces nombreux défis ? A. T. : L'impact structurel de la pandémie du Covid-19 sera étendu et profond et viendra se heurter à des réalités qui seront différentes d'une banque à l'autre, en fonction de leurs points de départ et leurs forces et faiblesses en entrée de crise, en fonction de leurs stratégies, ou en encore en fonction de leurs organisations et capacités d'exécution. Ce seront d'ailleurs ces réalités qui guideront la priorisation des défis à adresser, avec des che- mins empruntés et des résultats qui ne seront certainement pas identiques entre les banques. Mais quelle que soit la priorisation ou la straté- gie retenue, la capacité et l'agilité d’exécution constitueront certainement le nerf de la guerre. La bonne nouvelle est que les derniers mois ont mis à bonne épreuve les capacités d'exécu- tion des banques, en réunissant certains piliers essentiels. Tout d’abord, une gouvernance spécifique s’est mise en place, avec des circuits de décision très courts, un fort degré d’implication et d'aligne- ment du top management, avec un biais vers l’action, sans tergiversations. Le deuxième point, précédemment évoqué, concerne le focus sur l’essentiel. Un nombre réduit de priorités, exécutées dans une approche frugale et agile : Faire des choses qui marchent, qu’on améliore par la suite, comme cela a été le cas pour les actions des banques ces derniers mois. Le dernier point porte sur le 'sens' des transfor- mations, qui doit pouvoir susciter un engage- ment rationnel et émotionnel de l'organisation. L'action récente des banques s'est résolument inscrite dans une mission d'utilité générale de sauvegarde et de relance de l'économie natio- nale, de ses ménages et de ses entreprises. Ceci est incontestablement un vecteur d'engagement et de mobilisation pour des collaborateurs sen- sibles à la finalité de leur travail. Ces trois piliers, à savoir le 'sens', le focus, et l'efficacité de la gouvernance, représentent la colonne vertébrale pour assurer une bonne capacité d’exécution. La crise a permis de tester leur redoutable efficacité, et offre une formidable opportunité de pouvoir les adapter et les péren- niser pour poursuivre les transformations à venir avec le même succès. ◆

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