FNH N° 1110

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CULTURE

JEUDI 25 MAI 2023 FINANCES NEWS HEBDO

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la masculinité toxique comme Karim ou Ismaël, il y a l’oncle Hamid, plus complexe, aimant, mais qui joue le jeu du système et il y a les personnages positifs, ceux qu’on aime : Nabil, vieux flic tendre et cynique qui va évoluer auprès de sa collègue Batoul comme elle va évoluer auprès de lui. Le personnage de Samir, quant à lui, joue sur l’archétype de l’autostoppeur sexy (le Brad Pitt voleur de Thelma et Louise). Pour ce rôle, j’avais la volonté de m’éloigner de la figure du «Bad boy» viril. Samir est un vrai gentil : je voulais injecter de la douceur dans le sexy. F.N.H. : Pour vous, qui est Aïcha Kandisha, cinquième personnage féminin du film ? Y. B. : Aïcha Kandisha est une figure mythologique. Une femme très belle aux sabots de chèvre (ou de chameau selon les versions). En fonction des régions et des familles, la légende diffère : Kandisha vivrait au bord d’une rivière ou de l’océan, elle s’attaquerait aux hommes ou aux enfants, elle serait ogresse ou fantôme d’une opposante à l’occupation portu- gaise. Chez moi, on racontait qu’elle sur- prenait les enfants qui se hasardaient la nuit sur la plage et qu’elle les faisait disparaître. Ce qui m’intéresse chez Aïcha Kandisha, c’est d’une part, son ancrage très fort dans la culture populaire, et d’autre part, sa dimension subversive. J’aime l’idée de la réinventer, de réécrire son histoire pour en faire le récit fondateur du film. Se réapproprier Kandisha et en faire un symbole de la révolte féminine comme les Européennes se sont réappro- priées la figure de la sorcière. Dans «Reines», Kandisha devient la reine des djinns et le mythe déborde sur le réel pour aider Inès, une adulte en devenir, à se construire. F.N.H. : Pour ce premier film, qui plus est un road movie, quel a été le plus grand défi ? Y. B. : Nous avons tourné avec un vieux camion Berliet de près de 15 tonnes sur des décors situés parfois à sept heures de route les uns des autres : entre Casablanca, la montagne, le désert et l’océan. Un tournage majoritairement en extérieur avec une météo capricieuse : dans le sud, la brume était parfois si épaisse qu’on ne voyait rien à un mètre. Et nous n’avions que 5 semaines de tour- nage. Disons que pour un premier film… la

De gauche à droite : Zineb (Nisrine Erradi), Inès (Rayhan Guaran) et Asma (Nisrine Benchara).

tâche n’était pas simple. Tourner en camion a été une vraie diffi- culté : la première fois que nous avons tourné avec le Berliet, Nisrine Benchara était au volant, Pierre, le chef opérateur à côté d’elle et le reste de l’équipe dans la remorque. Mais le camion faisait un vacarme inouï et au premier coup de frein toute l’équipe a valdingué avec le matériel. On a dû repenser le dispositif... Tourner dans un espace aussi restreint qu’une cabine de camion offre très peu de liberté, et il a fallu être inventif. Une partie des scènes a été tournée en studio pour plus de souplesse. F.N.H. : Le camion est presque un personnage du film. Comment l’avez-vous choisi ? Y. B. : Qui a voyagé au Maroc a rencontré des camions. Massifs, brinquebalants, tagués de message de «Bonne route» ou «Far West», ils gravissent les montagnes et semblent défier toute loi de la gravité. Enfant, j’ai beaucoup voyagé au Maroc, notamment avec ma mère, et j’ai passé du temps sur la route avec ces camions

qui m’ont tour à tour effrayée et fasci- née. Choisir le camion a donc été un moment passionnant. Dès qu’on prenait la route, je photographiais les camions qui m’inté- ressaient. La créativité des chauffeurs qui décorent leur véhicule est inouïe. C’est drôle, kitch et joyeux. Chaque camion ressemble à son chauffeur : c’est un peu leur seconde maison. Mon choix s’est vite arrêté sur le Berliet grande masse qui semble surgir d’une autre époque et qui est en train de disparaître. Dans le film, il y a trois véhicules : un camion Berliet, une Mercedes 240 et une R12. Trois véhicules iconiques des routes marocaines et qui sont en train de disparaître. Ça m’amusait de jouer avec cette ima- gerie vintage et pop qu’on retrouve aussi dans d’autres motifs du film : les paraboles, les chewing-gums, le cahier magique d’Inès (cahier «le jaguar» qu’on avait tous dans les années 90). L’idée était de partir d’éléments populaires de la culture marocaine pour créer une ico- nographie ludique qui soit propre au film.

Tourner dans un espace aussi res- treint qu’une cabine de camion offre très peu de liberté, et il a fallu être inventif.

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