C ULTURE
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JEUDI 12 OCTOBRE 2023 FINANCES NEWS HEBDO
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Exposition
◆ Farid Belkahia est un artiste hors du commun au parcours fascinant, mêlant la tradition à la modernité, la révolte à la créativité. Sa vie artistique est une quête constante de sens, de formes et de couleurs, avec pour fil conducteur un refus profond du mal infligé par l'homme à l'homme. Belkahia, dur à «cuir»
I l faut dire que Farid Belkahia est presque né le pinceau à la main : son géniteur, un négociant et sur- tout boulimique d’art, frayait avec des peintres estimables tels Henri Matisse, Nicolas de Staël, ou encore Olek Testar. Ce dernier, qui ne man- quait pas de flair, subodorera du talent dans la tendre pousse et la prend en main. Cette précocité le conduit rapidement à se faire, à 21 ans, un nom dans le lan- derneau pictural. Cependant, perfec- tionniste jusqu’à la névrose, il ressent qu’il lui reste encore du chemin à accomplir pour être au diapason. Il décide donc de mettre les voiles vers la France pour s'améliorer et s'épanouir. Bâton de pèlerin à la main, il mit le cap sur Prague après l’École des Beaux- Arts de Paris. Là, il goûte aux plaisirs du communisme, et développe son art tout en fréquentant des cours de scé- Par R. K. Houdaïfa
Son enga- gement artistique et politique
le conduit en 1962 à prendre la direction de l'École des Beaux-Arts de Casablanca, où il entre-
nographie à l'Académie de théâtre. Cette période tchécoslovaque marque un tournant dans sa vie artistique. Bien qu'il n'ait pas encore trouvé sa voie, oscillant entre figuration et abstrac- tion, son art semble mûrir, s’affiner et, surtout, imprimer sa marque (des motifs tels que le cercle et la flèche, qui font partie de son alphabet plas- tique, reviennent comme des leitmo- tivs sur ses toiles). Sa visite au camp de concentration d'Auschwitz l'inspire à explorer le thème de la souffrance humaine de manière obsessionnelle.
Mais, sur les bords de la Ultava, tout n’est pas que jouissance artistique. Son enthousiasme pour le commu- nisme s'estompe rapidement lorsqu'il découvre les aspects totalitaires, des- potiques et népotiques du régime. Il s’empresse donc d’en prendre congé et change d’air. Ainsi, si le communisme a fini par l’écœurer, sa sensibilité de gauche demeure intacte. De retour au Maroc, Belkahia rejette les conservateurs au profit des protestataires, et il se plaît en leur compagnie. Celle de Mahjoub Benseddik particulièrement. Réinvention du paysage artistique Son engagement artistique et poli- tique le conduit en 1962 à prendre la direction de l'École des Beaux-Arts de Casablanca, où il entreprend une révolution culturelle. Non qu’il soit sensible aux grandeurs de l’établisse- ment, mais parce que cette institution branlante avait, en effet, besoin d’un sérieux ravalement, et pas seulement de façade. Convaincu de la nécessité de créer un art contemporain réellement maro- cain, tourné vers la modernité tout en
prend une révolution culturelle.
Pendant douze années, sous la palette de Farid Belkahia, l’Ecole des Beaux-Arts de Casablanca a été non seulement un lieu d’enseignement plastique, mais aussi un espace pour le débat d’idées, idées souvent concrétisées par des actions radicales. Les plus symboliques en furent une exposition de tendance, mitonnée en 1965, visant à renverser l’art néocolonial alors prégnant, puis la tenue, en 1969, sur la place Jamaâ El-Fna, d’une contre-exposition protestataire, à proximité du rituel salon du Printemps de Marrakech, véritable fourre-tout, sans unité ni âme. Mais, ulcéré par les vexations de la municipalité, sous la tutelle de laquelle était placée l’École des Beaux-Arts, Farid Belkahia a fini par en claquer la porte avec fracas. Ses compagnons de bonne fortune lui emboîtèrent le pas. Le superbe navire se mit à prendre l’eau. Des fonctionnaires de la municipalité s’emparèrent tour à tour de son gouvernail. Ils ne réussirent qu’à le couler un peu plus. Changer ses desseins !
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