FNH N_ 1207

CULTURE

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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 11 SEPTEMBRE 2025

expressions culturelles contem- poraines prennent une dimen- sion géopolitique nouvelle, capable de remettre les causes oubliées au centre du débat international. «L’art n’est plus seulement un moyen de divertissement, il s’est transformé en un outil décisif d’influence politique. À l’ère du numérique et de la saturation médiatique, plus un récit est crédible et capable de capter l’attention du public, plus son impact est fort, reléguant ainsi la propagande à un rôle de second plan», martèle-t-il. Plus qu’un film, « La Voix de Hind Rajab» devient un porte-parole,

À la Mostra de Venise, le film “La Voix de Hind Rajab” bouleverse les consciences et impose le cinéma comme témoin des tragédies contemporaines.

un récit coup de poing capable d’émouvoir les consciences et de sensibiliser le monde entier à une tragédie trop souvent réduite au silence. Le samedi 6 septembre, lors de la cérémonie de clôture, l’œuvre de Kaouther Ben Hania a quelque peu éclip- sé la consécration (Lion d’or) de Jim Jarmusch et de son film américain indépendant Father Mother Sister Brother. ◆

Le récit artistique, nouvelle frontière de la puissance géopolitique

Mohamed Bouden décrypte le rôle straté- gique de l’art dans la politique mondiale. «La culture représente l’un des piliers essen- tiels de la puissance douce (soft power), en plus d’être l’une des principales plateformes de rayonnement des nations, des peuples et des civilisations. À travers elle, les États poursuivent des objectifs et atteignent des finalités stratégiques.

 Une voix d’enfant traverse les murs du silence grâce au film choc de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania, couronné du Lion d’argent à la Mostra de Venise.

Par le biais de la culture, et en particulier de l’art, il est possible de raconter des his- toires et des récits à dimension politique ou idéologique. Ces récits s’appuient désormais sur de nouveaux outils pour étendre leur portée, tels que les médias, les plateformes numériques, le cinéma, entre autres. Cette évolution s’inscrit dans le cadre du dévelop- pement mondial des industries culturelles et artistiques, et de l’adoption, par plusieurs pays, du concept «d’exportations cultu- relles», à savoir la musique, les films, les arts plastiques, la gastronomie… L’art contribue au renforcement de l’image des États et à la diffusion de leurs récits à l’international. Ce facteur devient ainsi un levier de puissance douce et un pont qui dépasse les appartenances politiques. L’art est capable de transmettre des valeurs, de renforcer l’influence d’un pays ou d’une cause, et de tisser des réseaux de relations et de soutiens. Aujourd’hui, de nombreux festivals se sont imposés non seulement comme des évé- nements culturels et artistiques, mais aussi comme des centres d’influence. Des orga- nisations internationales de renom confient désormais des rôles d’ambassadeurs de bonne volonté à des personnalités issues du monde de l’art. Ainsi, l’art apparaît comme un canal privilégié pour attirer les publics et créer une harmonie entre les traditions locales et les enjeux mondiaux. De nombreux pays investissent massivement dans le cinéma, l’art et la culture pour séduire de nouveaux publics et renforcer leurs relations internationales. L’art est devenu un enjeu stratégique dans plusieurs États, au point que certains chefs d’État ou leurs représentants tiennent à inaugurer personnellement les grands événements artistiques. L’art est devenu un outil décisif d’influence politique. A titre d’exemple, dans le cas des États-Unis, Hollywood et Harvard exercent une influence équivalente dans le renforcement de la marque nationale américaine. L’ancien président Franklin D. Roosevelt considérait déjà le cinéma comme un élément économique, social et poli- tique central du projet national américain. Ainsi, les États ou les acteurs engagés dans une cause ne s’appuient plus uniquement sur le discours politique ou les voies diplomatiques traditionnelles : ils cherchent à raconter leur histoire de manière innovante, en franchissant les barrières linguis- tiques et politiques».

le strict minimum que le monde leur doit » , insiste-t-elle. Avec cette œuvre puissante, Ben Hania a bouleversé le jury qui lui a décerné le Lion d’argent du Grand Prix du Jury. Ce tournant artistique et poli- tique trouve écho dans l’ana- lyse de Mohamed Bouden, pro- fesseur universitaire et expert en relations internationales. «La diplomatie culturelle joue aujourd’hui un rôle majeur dans la promotion du dialogue entre les peuples, et cela se manifeste particulièrement à travers les

festivals et les expositions. Nous assistons à une mutation du rôle de l’art dans l’espace public mondial. Ce n’est plus simple- ment un outil esthétique ou émotionnel, c’est un levier stra- tégique de mobilisation. À tra- vers les œuvres qui touchent à des drames humains profonds, l’art devient une arme douce, un instrument de pression et de réveil des consciences. Là où les discours politiques échouent ou se taisent, le langage artistique ouvre une brèche» , explique-t-il. Bouden souligne combien les

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