Politique Paillettes - MYOP

Russell Banks, écrivain

Ces photos m’incitent à me demander comment on se sent à l’intérieur de ces visages – aussi bien dans ceux des politiciens qui avancent leurs yeux, leur nez, leur bouche, leur peau et leurs cheveux en direction des caméras que dans ceux de ces inconnus en train de hurler dont la tête et les mains se tendent fébrilement vers leur politicien adoré comme pour recevoir une sorte d’onction ou de bénédiction de sa présence angélique. Des deux côtés, on est en présence d’une expérience religieuse. Une expérience qui anéantit l’individualité et la subjectivité, une rencontre qui annihile la conscience. On le voit à leur visage. L’intériorité a disparu. La subjectivité est absente. La conscience de soi s’est totalement évanouie. La foule est un rassemblement de morts-vivants, et le personnage politique est devenu le zombie sacré qu’adorent les morts-vivants. Un politicien doit apprendre à aimer cette expérience au fur et à mesure de sa carrière, à moins qu’il n’y soit prédisposé dès le départ, ce qui ferait de lui un psychotique. Il faut qu’il aime cette perte de soi. Faute de quoi le prix qu’en paierait sa vie intérieure serait trop élevé. Ce n’est pas une affaire d’ego mais de dissolution de l’ego, de perte de soi. Il faut tout simplement y prendre du plaisir, sinon, qui voudrait vivre ainsi ?

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