Etre Peul et chrétien
Foulard et lafaï : mon année au Tchad
en GuinéE
jeûnaient. Elles étaient autorisées à repousser les privations après la grossesse, mais la plu- part d’entre elles le faisaient tout de même car elles ne voulaient pas être seules à devoir jeûner durant quarante jours après tout le monde. Une des conséquences était les nais- sances prématurées. Parfois les bébés mou- raient même de sous-alimentation. J’avais de la peine à l’accepter. Pouvoir participer à la fête du ramadan à la fin du jeûne a été un grand privilège pour moi. L’hospitalité et la gentillesse offertes à des étrangers étaient incroyables. Ce qui m’a également beaucoup touchée a été de voir comment tous se sont préoccupés d’une amie lorsqu’elle a perdu son mari ; plusieurs femmes ont même logé quelques jours avec elle pour cuisiner et s’occuper d’elle. Lors des fêtes, des enterrements ou des visites, les hommes et les femmes sont toujours sépa- rés. Je ne trouvais pas cela très grave car on mange avec les doigts et ce n’est pas toujours très beau à voir… Ainsi les femmes n’ont pas la pression de devoir manger élégamment ! Une expérience marquante Lorsque je me suis informée sur internet pour me préparer à mon départ au Tchad, j’ai dé- couvert un avertissement : il était déconseillé de visiter ce pays. Naturellement, j’ai réflé- chi à tout ce qui pouvait arriver de grave. Et pourtant, je dois dire que je me suis sentie en sécurité. Je ne pouvais pas me déplacer aussi librement qu’en Suisse et il y avait plus de rè- gles, mais elles n’existaient en fait que comme mesures de précaution. Après coup, je me suis rendu compte que cette expérience m’a beaucoup marquée. J’apprécie naturellement de ne plus me faire réveiller chaque nuit par le muezzin. Et pour- tant certaines choses me manquent comme par exemple les relations familiales que les musulmans entretiennent les uns avec les au- tres et le comportement de certains hommes, comme dans l’histoire du taxi. Aujourd’hui quand je vois un musulman ou une musul- mane, je me rappelle ces souvenirs et je peux mieux comprendre leur vie.
Avant mon départ pour le Tchad, je savais que j’allais devoir porter un foulard. Je savais également que le pays était musul- man. Mais que voit-on quand on regarde plus profondément la réalité ? J ’ai dû porter un foulard déjà à la capitale. Grâce à cela, je me suis sentie un peu moins comme une intruse et j’ai pu montrer que je respectais les gens et leur religion. Sur mon lieu de travail, je portais un « lafaï » : un grand tissu qui cache le corps. Au début, c’était un vrai défi car l’étoffe glissait dans toutes les di- rections, mais avec le temps, j’ai développé des stratégies pour que cela devienne plus agréable. J’ai vite compris qu’en tant que femme je n’étais pas sur un pied d’égalité avec les hommes. Une fois je suis entrée dans un « dukan », un petit magasin, et j’étais la seule cliente. J’essayais de faire mes achats en arabe tchadien quand un homme est entré. Le ven- deur a tout de suite disparu et s’est occupé de l’homme. Au début, ce fut pour moi un choc, mais j’ai ravalé ma fierté et suis restée aima- ble. Avec le temps, ce genre de situation est devenu normal pour moi. Mais il arrivait aus- si que les hommes traitent les femmes avec beaucoup de respect : une fois j’étais en train de rentrer à la maison avec les autres courts- termes et nous ne trouvions pas de « raksha » (taxi à trois roues). Nous sommes parties à pied. Après vingt minutes, un taxi jaune est venu dans notre direction. Malheureusement, nous avons vu de loin qu’il n’y avait plus de place car la banquette arrière était utilisée par deux hommes. Malgré cela, le véhicule s’est arrêté et les hommes sont montés de- vant, même s’il n’y avait déjà théoriquement plus de place et nous ont laissé monter. Nous avons vécu cela plusieurs fois. Une grande dévotion pour la prière Au début, je ne pouvais pas dormir sans inter- ruption car le muezzin chantait plusieurs fois très fort. Malgré des nuits partiellement blan- ches, j’ai admiré le lien des musulmans avec leur foi. Combien de fois nous les chrétiens ne prions que quand nous voulons quelque cho- se ou que nous pensons en avoir besoin ! Les musulmans se lèvent chaque nuit pour prier. Et nous chrétiens, nous lèverions-nous aussi au milieu de la nuit pour prier ? Vivre le ramadan dans un pays musulman a aussi été une expérience sans précédent. Les chrétiens n’avaient pas l’obligation de jeûner, mais il y avait tout de même quelques règles à respecter : nous ne devions rien manger, boire ou mâcher en public, ce que je pouvais bien comprendre. J’avais plus de peine à voir par exemple que même les femmes enceintes
Je suis né dans une famille musulmane pratiquante et j’appartiens au peuple Peul. Comme j’interprétais le Coran dans ma langue maternelle, je connaissais bien Dieu et les prophètes. Je m’efforçais de respecter et appliquer tous les principes de l’islam afin de mériter le paradis après la mort, mais je voyais que j’étais incapable d’y arriver par mes propres efforts. En ce temps, j’avais des rêves troublants concernant la mort et l’enfer. En 1998, j’ai reçu une Bible en bande dessinée et j’ai été marqué par la suite chronologique des événements et des thèmes. Cela contraste avec le Coran, qui consiste en grande partie en citations diverses et dont les différentes sourates sont classées par longueur. Je me suis tourné vers mon maître co- ranique pour comprendre comment croire en Christ. Il m’a fait savoir que le temps de Jésus était passé. Nous étions au temps de Mahomet et le Salut passait par la foi en Allah et Mahomet, et par les bonnes œuvres. Je pensais que Dieu ne m’aimait pas, sinon il m’aurait fait vivre au temps de Jésus, afin que je puisse aller au paradis. Au lycée, j’ai fait la connaissance d’un chrétien, que j’ai souvent défendu contre les attaques de nos collègues musulmans. Nous sommes devenus bons amis et il m’a conduit vers des leaders qui ont su répondre aux questions auxquelles mon maître n’avait jamais répondu, ou si mal. Après neuf mois d’échanges bibliques et coraniques, j’ai décidé de suivre Jésus-Christ en l’an 2 000. Une haute trahison envers la communauté Plus de quatre millions de Peuls, peuple musulman, vivent en Guinée. Ils constituent de loin le groupe ethnique le plus nombreux du pays, qui comp- te environ douze millions d’habitants. En tout, près de cinquante millions de Peuls, aussi appelés Fulani ou Fulbe, sont répartis dans plus de trente pays africains, où ils ont répandu l’islam. Ils sont fiers de n’avoir, selon eux, au- cun non musulman parmi leurs membres. Un Peul qui devient chrétien est un affront à la communauté. C’est une haute trahison, une provocation et une insulte à l’encontre de toute la famille et tous les musulmans, y compris l’islam et le Coran. C’est pourquoi tous les Peuls qui décident de suivre Jésus sont confrontés à l’expulsion de leur famille, donc du système social, à des agressions et même des menaces de mort. Ils sont exclus de la communauté à tous les niveaux. La Guinée compte 300 à 500 chrétiens peuls. Soutenir les chrétiens Aujourd’hui, je m’engage avec une équipe parmi les chrétiens d’arrière-plan musulman : nous les accompagnons et encadrons dans leurs problèmes pratiques concernant par exemple des questions culturelles, la relation avec leur famille, les mariages etc. Si nécessaire, nous leur apportons une aide financière. La fortification des leaders et leur soutien est aussi un volet im- portant de notre travail. Nous voulons développer des projets qui pourront rendre les chrétiens d’arrière-plan musulman autonomes sur le plan finan- cier afin de leur permettre de vivre librement et dignement leur foi en Jésus- Christ. Nous apportons aussi la Bonne Nouvelle dans les 25 écoles de notre église partenaire, ce qui concerne 16 000 enfants et jeunes.
Debora SCHOR a passé une année en court séjour à Bakan Assalam, Tchad
Ousmane DIALLO collaborateur de ProTIM 2-2-2 Conakry, Guinée
Ici, de jeunes adultes et des collaborateurs à court terme partagent quelque chose de leur vie.
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