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ECONOMIE
FINANCES NEWS HEBDO
LUNDI 28 FÉVRIER 2022
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L’introuvable équation de l’investissement L e 15 février, le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, a fait une longue intervention devant la Commission des finances et du développement écono- mique de la Chambre des représentants. Par Mustapha SEHIMI Professeur de droit, Politologue
Une initiative à saluer. Il est utile en effet que cette institution s'informe au mieux des questions importantes à l'ordre du jour, dont celle en l'es- pèce de l'investissement au Maroc. Surtout que cette réunion s'est tenue en dehors de l'agenda normal des sessions parlementaires. Les interrogations - voire les paradoxes - ne manquent pas à ce sujet. D’un côté, le Maroc a un taux d'investissement parmi les plus élevés du monde, soit 32,2% du PIB - il n'est surclassé que par la Chine (42,1%) et l'Inde (34,3%). Un niveau donc qui devrait être suffisant pour escompter un rattrapage économique - comme les pays des «miracles économiques». Pourtant, tel n'est pas le cas : le rendement de cet investissement reste modeste, peu rentable même. Il s'en suit un médiocre impact sur la création d'emploi. Durant la période 2010-2019, l'économie nationale n'a en effet généré annuellement que 72.000 emplois, la moitié d'ailleurs des 144.000 emplois annuels entre 1999 et 2009. Un tel rythme demeure insuf- fisant pour conduire à une baisse significative du chômage, lequel s'est situé autour de 1,1 million au cours des deux dernières décennies. La population active a baissé entre 1999 (55%) et 2019 (46%), alors que la moyenne internationale se situe à 70% environ, et que celle des pays à revenu intermédiaire (tranche inférieure) se situe à 56% environ. Recul de l'investissement L'investissement a, par ailleurs, enregistré une contraction, avec un taux de croissance annuelle moyenne de 2,9% entre 2010 et 2019 - il était de 8,5% dans la précédente décennie. Sur la base des comptes nationaux, quelle est la nature de l'investissement au Maroc ? Au premier rang, le secteur public : 245 milliards de DH en 2022, plus que les 230 milliards de DH en 2021. Il se décline autour des administrations publiques (20%), des entreprises et établissements publics (10%) et des collectivités territoriales (5%). Reste la place du secteur privé autour de 65%. Pour ce qui est de l'investissement direct étran- ger, il est établi que le Royaume bénéficie d'une certaine attractivité. En atteste le flux net annuel de 22 milliards de DH durant les 16 dernières années, soit un taux de 2,6% - un taux de proche de la moyenne mondiale et supérieur à celui des
voisin de ceux du Brésil (53%) et de la République Tchèque (54%). Il faut faire état de la problématique de l'accès de la TPME au financement. Ainsi, 69% de ces entreprises ont des difficultés à ce sujet. Un tiers d'entre elles ont vu leurs demandes rejetées, soit pour insuffisance de garanties (52%), soit pour manque de confiance dans l'entreprise (20 %). Ces chiffres d'une enquête du HCP en 2019 sont désormais à revoir, dans la mesure où les enquêtes trimestrielles de BAM, pour l’année 2021, traduisent, elles, une amélioration. Telles la main-d’œuvre insuffisamment formée (13% - 3,5%) ou encore l'instabilité politique (7,7% - 1,9%). Dans la grille des freins et obstacles au développement des entreprises, il apparaît que seuls 4% des entreprises jouissent de l'accès au financement- ce chiffre était de 10% en 2013. La corruption a régressé durant cette même période de cinq points (1%), mais d'autres obstacles se sont accentués : taux de taxation (8,8% - 15,2%), procédures fiscales (3% - 14,2%), transport (2,8% - 8,7%), foncier (2,2% - 6,7%), électricité (2,4 % - 6,3 %). D'autres indications ont été données à la com- mission parlementaire. Ainsi, le niveau des garan- ties demandées par les banques a largement diminué; ainsi encore, subsistent des obstacles du développement des entreprises. S'agissant de la corruption, le Maroc a reculé dans les classements internationaux, passant de la 73 ème (2018) à la 87 ème place (2021). La pression fiscale reste élevée à hauteur de 33% pour ce qui est du niveau des impôts sur les revenus, les profits et les gains en capital - un taux largement supérieur à certains pays : Jordanie (13%), Tunisie (15%)
pays à revenus intermédiaires. Quant à l'investissement dans l'entreprise, il est lié à la conjugaison de plusieurs facteurs (qualité des mécanismes institutionnels, visibilité, poli- tique monétaire, inégalité des revenus, structure et maturité du secteur financier, etc.). Le tissu productif marocain présente des traits particuliers: une structure fragmentée, une large place des TPE et peu d'entreprises exportatrices. Dans le détail, l'Observatoire mis en place par la Banque centrale en 2013 précise que 92% des unités sont des microentreprises avec un chiffre d'affaires de moins de 3 millions de DH et que 84% ne réalisent qu'un chiffre d'affaires de moins d'un million de DH. La pression fiscale est concentrée, avec 2% seulement des entreprises qui versent 80% de l'IS. Les entreprises exportatrices actives, elles, ne dépassent pas 4.500 - un chiffre très bas par rapport à la population, soit 0,2 par mille habitants – alors qu’il est de 0,9 pour la Turquie, de 1,5 pour la France, de 3,4 pour l'Espagne,... Difficile accès au financement L'investissement, c’est aussi le mode de finan- cement des entreprises. Leur dette financière est de 20%, moins que l'Espagne (30%), le Portugal (33%), l'Allemagne (36%) ou la France (37%). Au Maroc, l'investissement est réalisé à hauteur de 8% par des emprunts bancaires. Le crédit ban- caire couvre toutefois la quasi-totalité du finance- ment externe (96,6%). A noter ici la faiblesse du recours au marché des capitaux, utilisé surtout par les établissements financiers spécialisés. Le crédit bancaire représente 51% du PIB, un niveau supérieur à la Pologne (44%), l'Afrique du sud (34%), le Mexique (26%), l'Argentine (21%), mais
Pour ce qui est de
l'investisse- ment direct étranger, il est établi que le Royaume bénéficie d'une certaine attractivité.
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