COLLECTIVITÉ
DIGNE EUGÉNIE
MYLÈNE DESCHAMPS mylene.deschamps@eap.on.ca
Tout a commencé avec un verre de grand marnier à 20h45 dégusté en compagnie de Clémence, 94 ans, rési- dente du Médaillon d’or lors du tournage Eugénie en résidence. Non, en fait, tout a commencé quand Eugénie a accepté un emploi dans une petite télécommunautaire au nord de Montréal, dans un petit bled inconnu, qui lui offrait un emploi de journaliste à temps plein pour un salaire de 11$ l’heure. La plus belle expérience professionnelle qu’elle n’ait jamais connue; pour sa liberté de choix, la confiance qu’elle obtenait du conseil d’admi- nistration et ses liens avec ses collègues, dont Sylvain Côté son caméraman, qui y est devenu aujourd’hui directeur. Voici l’histoire d’une fille qui étudie en communication, qui devient une journaliste primée, mais qui tombe en amour avec un sujet: les vieux! Le politically correct demande davantage de bienveillance dans le choix des mots. Mais de ce temps-ci, on se demande si nos aînés sont vraiment choyés. Pour Eugénie Émond, ces humains devraient avoir autant d’attention que les enfants. On lui demande d’ailleurs souvent : pourquoi les aînés? À quoi elle répond, «pourquoi on ne pose pas cette question pour les enfants?» Les personnes âgées qui composent notre nation sont des histoires ambulantes, des outils nécessaires et de la sagesse incarnée. «Ce sont des gens qui ont vécu 40, 50 et même 70 ans de plus que moi!, souligne la journaliste, déménagée depuis dans la région de Lotbinière, où elle a donné naissance à trois beaux enfants. Elles peuvent nous expliquer la transformation du monde et ça a eu une grande résonnance dans ma vie. Souvent, pour prendre une décision, je me demande, qu’est-ce que Clémence aurait fait?» Clémence c’est la dame au grand marnier, celle avec qui Eugénie a conservé un lien même après son départ de Lachute vers Toronto, avant d’atterrir près de Québec. Clémence est aussi le nom de sa plus grande fille. Clémence est celle qui ne voulait pas participer au tournage d’Eugénie en résidence. Clémence ne voulait pas être devant la caméra. Clémence était celle qui discutait avec la journaliste -qui venait de se claquer 12 heures de tournage en mode téléréalité- de sa vie, d’autrefois, avant d’aller dormir. Clémence c’est celle qui a permis à Eugénie de s’asseoir, de rêver, d’apprivoiser la vieillesse comme un moment de grâce. Clémence est décédée. Clémence est partie à 100, peut-être 101 ans. Mais d’elle, est né un objet riche de 267 pages de savoir-faire inédits par la naissance d’un amour inconditionnel pour les personnes âgées. Le livre ne porte pas sur Clémence. Savoir-faire - Histoires, outils et sagesse de
Eugénie Émond, entourée de son amie Clémence et de sa fille du même nom lors d’une de ses visites au Médaillon d’or. -photo courtoisie
nos grands-parents, paru depuis le 3 octobre aux Éditions Beside média, est le premier livre d’Eugénie Émond, cette journaliste qui est passée dans Argenteuil autour de 2010 et qui a laissé des tonnes de bobines de tournages et d’histoires ficelées dans cette communauté tissée serrée. Ce sont 20 portraits inédits de per- sonnes dont la flamme dans le cœur est aussi vive que le savoir-faire qu’ils ont fait perdurer. Un savoir-faire qu’Eugénie a pris la peine de coucher sur papier, avec l’aide de Caroline Paquette et Rosalie Boutin, les éditrices. «J’ai rencontré un Italien qui sait raccourcir un pantalon. Il est né dans un orphelinat en Italie et est devenu tailleur par survivance. Aujourd’hui, on sait que sa boutique va fermer quand lui va mourir, explique-t-elle non sans émotion. Ce sont des histoires fascinantes, qui sont ancrées dans le présent enjolivées d’images dans le temps présent. Il fallait que je trouve des personnes qui soient encore actives.» Composé d’hommes et de femmes des maritimes jusqu’en Ontario, deux de ces portraits proviennent de ces encyclopé- dies sur deux pattes d’Argenteuil. André Godard cueillait lui-même ses oignons quand Eugénie est venue à sa rencontre durant la pandémie. Avec son épouse Annette Locas, des agriculteurs de Saint-André d’Argen- teuil, elle les prénomme des équilibristes du maraichage. Ils sont les ancêtres du bio d’aujourd’hui, ou peut-être, les derniers survivants du bio ancestral… les bonnes vieilles méthodes! Le deuxième élu de la région est Richard Sunerton, un coutelier anglophone de Gore, de qui j’ai moi-même fait un portrait voilà une dizaine d’années. Sunerton est ce genre de personne qu’on ne rencontre pas souvent, mais qui fait naître en nous la foi en l’humanité et le désir d’y vivre plus lentement. Quelques-uns étaient un peu
Richard Sunerton, un coutelier de Gore, est l’un des 20 fascinants portraits du premier livre d’Eugénie Émond: Savoir-faire - Histoires, outils et sagesse de nos grands-parents. -photo courtoisie
fière survivante du temps des mammouths laineux de Bouchard: «Cela a existé, un temps passé où rien ne se passait. Nous avons cheminé quand même à travers nos propres miroirs. Dans notre monde où l’imagerie était faible, l’imaginaire était puissant.» De Serge Bouchard à Eugénie Émond. D’Eugénie Émond à la profondeur d’âme de tous ces êtres vieillissants à qui nous ne donnons pas toujours la place qui leur revienne. Eugénie a su les mettre en valeur. Un beau cadeau à mettre sur votre liste de souhait.
rouillés par la pandémie, ou méfiants, mais c’était justement des personnes qui malgré un âge avancé sont toujours dans leur milieu de vie, un milieu qui leur permet de vivre. Le livre d’Eugénie Émond commence avec une citation de l’anthropologue Serge Bouchard. Ça donne le ton. Eugénie, fière aujourd’hui d’une maîtrise en gérontologie afin d’approfondir ses connaissances scienti- fiques, se définit comme une journaliste indé- pendante. Elle fait d’ailleurs des chroniques radiophoniques à Moteur de recherche au 95,1, la station radio-canadienne. Une
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