FNH N° 1199 V2

ECONOMIE

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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 12 JUIN 2025

Informel-Formel «L’imbrication peut générer des externalités positives si elle est bien encadrée»

amplifie des tensions si le cadre formel n'évolue pas au même rythme que les attentes du mar- ché et des acteurs économiques, creusant la fracture entre une éco- nomie formelle rigide et une éco- nomie informelle non régulée. F. N. H. : Pensez-vous que cette relation croissante entre formel et informel crée un cercle vertueux pour l'économie marocaine, ou au contraire, entretient une dualité structurelle néfaste ? H. E. : Oui, il est tout à fait légi- time de poser une telle question et d’ouvrir le débat sur la nature fondamentale et non pas appa- rente de la relation entre le formel et l’informel. Est-elle un levier de transformation positive ou une forme de déséquilibre ou d’équi- libre dysfonctionnel ? En d’autres termes, faut -il éradiquer l’informel ou l’institutionnaliser et l’intégrer dans les chaînes formelles, tout en gardant ses forces ? Bien que ses effets néfastes soient palpables, l’imbrication, et c’est le mot le plus précis, croissante du secteur informel dans les chaînes formelles peut générer des exter- nalités positives, si elle est bien encadrée, notamment pour pallier les défaillances institutionnelles, celles de la politique économique de l’Etat, et du système écono- mique formel. En effet, l’adapta- bilité et la flexibilité de l’informel serviront pour de grandes choses dans ce sens. De l’autre côté, l'économie infor- melle offre une voie de contourne- ment des pratiques frauduleuses du secteur formel, tant en termes de fiabilité comptable qu’en matière d’emploi. Cependant, cette relation tout à fait naturelle,

A en croire les chiffres du HCP, l’informel ne fonctionne plus en vase clos, mais devient un rouage périphérique du système économique formel, soulevant des enjeux majeurs de régulation, de concurrence et de justice fiscale. Entretien avec Hassan Edman, professeur d’économie et gestion à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d’Agadir.

Propos recueillis par Désy M.

Finances News Hebdo : Comment interprétez-vous l’augmentation des échanges entre unités formelles et informelles ? S'agit-il d'une intégration économique naturelle ou d’une réponse à une rigidité du cadre for- mel ? Hassan Edman : Cadrons d'abord cette notion d’«économie informelle». Selon le Bureau inter- national du travail (BIT) et le haut- commissariat au Plan (HCP), le «secteur informel» comprend toute activité et tout emploi non observés ou non comptabilisés, englobant les unités de produc- tion informelles et l'emploi infor- mel (même dans le secteur for- mel). Les frontières entre formel et informel ne sont pas totalement étanches. Nous retenons ici le concept du HCP qui exclut les activités souterraines, illégales, illicites et agricoles. L'évaluation de l'intégration du secteur informel dans l'écono- mie formelle nécessite d’exami- ner l'origine des intrants et les débouchés de sa production. En 2023, selon le rapport de la der- nière enquête du HCP, le secteur informel s'approvisionne principa-

lement auprès de lui-même (57%), en baisse par rapport à 2014 (70,9%), tandis que le secteur formel fournit désormais 33,7% des approvisionnements des uni- tés informelles. La production informelle reste essentiellement destinée à la consommation des ménages (79,5% en 2023, contre 77,8% en 2014), tandis que les ventes au secteur formel restent limitées (2,4%) mais progressent, alors que les échanges internes au secteur informel diminuent (17,7%) et les ventes au secteur public sont négligeables. Les échanges entre secteurs for- mel et informel ne résultent pas uniquement d'une réponse à la rigidité du cadre formel, mais aussi d'une dynamique naturelle découlant d'une complémentarité indispensable entre les deux sec- teurs. Il est normal que le sec- teur informel s'approvisionne ou écoule sa production auprès du

secteur formel et inversement. Le commerce (47% des unités de production informelles) et les ser- vices (28,3% en 2023) dominent ce secteur selon le HCP. Ces acti- vités se procurent leurs consom- mables et matières premières auprès de fournisseurs formels, voire institutionnels, telles que les sociétés régionales multi-services pour l'eau et l'électricité. Il exis- tera donc toujours un lien et une dépendance économique naturels entre les secteurs formel et infor- mel. Cependant, il faut le rappeler, des opérateurs structurés cherchent à contourner les obstacles structu- rels et institutionnels du cadre for- mel, surtout ceux qui alourdissent ses coûts de revient et réduisent sa compétitivité, en privilégiant de bénéficier officieusement de la flexibilité et des coûts réduits de l'informel. Cette relation, parfois souterraine et frauduleuse, crée et

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