FNH N° 1199 V2

HIGH-TECH

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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 12 JUIN 2025

TikTok et Instagram Les nouvelles vitrines du commerce informel au Maroc Entre vidéos courtes, groupes cryptés et solutions de paiement mobile, le commerce de vêtements et d’accessoires explose sur les réseaux sociaux. Ce phénomène, à mi-chemin entre débrouil- lardise et disruption numérique, soulève des questions profondes sur l’usage de la technologie dans un cadre informel, non sécurisé et non régulé. Décryptage.

 L'informel représente le tiers des emplois au Maroc et génère un chiffre d'affaires de 527 milliards de DH.

pérables, APIs bancaires, plate- formes e-commerce, outils de suivi logistique. Pourtant, les vendeurs informels s’en détournent délibéré- ment. Ce n’est pas par ignorance, mais par stratégie. En l’absence de règles contraignantes, l’agilité, la rapidité et la souplesse priment sur la conformité. Pourtant, le volume du e-commerce formel au Maroc ne cesse d’augmenter. Au premier trimestre 2023, ce secteur a enre- gistré 41,3 millions d’opérations de paiement en ligne, représentant un chiffre d’affaires de 18,3 milliards de dirhams, selon les dernières données de l'lté.ma et Energiedin. En parallèle, une grande partie des ventes sur les réseaux sociaux informels se règle en espèces ou par transfert direct, rendant leur traçabilité quasi impossible et les excluant de toute statistique natio- nale. Les vendeurs préfèrent contourner les modules de paiement intégrés, jugés trop lents ou traçables, pour privilégier le cash à la livraison ou le transfert instantané via Inwi Money, Orange Money ou encore Barid Cash. Le tout, sans facture, sans preuve, sans aucune trace exploitable par l’administration. Ainsi, l’absence totale d’historique d’achat ou de log de commande empêche toute forme de protection du consommateur. Enfin, il y a l’interopérabilité : aucun système ne permet aujourd’hui de faire dialoguer ces circuits paral- lèles avec les solutions formelles existantes. L’écosystème tech

reste segmenté, incapable d’absor- ber cette dynamique.

Une transformation numérique à double tranchant Pourtant, la technologie est au cœur du problème, comme elle pourrait l’être au cœur de la solu- tion. Selon Anas Lahlou, consultant en transformation numérique, «le problème n’est pas l’absence d’ou- tils, mais l’absence d’architecture ouverte. Les vendeurs informels ont construit leur propre système, car celui du secteur formel n’a jamais su les inclure de façon simple, mobile et rentable». À ses yeux, la régulation n’est pas uniquement une affaire de lois, mais une ques- tion de design technologique. Il ne s’agit pas de brider l’élan entrepreneurial de cette jeunesse connectée. Mais de penser des solutions technologiques à leur échelle, adaptées à leur réalité. Des outils légers, mobiles, intero- pérables. Car ce n’est pas le for- malisme administratif qui freinera l’informel digital, c’est l’offre de solutions plus efficaces. À mesure que ce souk numérique s'étend, il devient évident qu’il ne s’agit pas d’un simple phénomène de mode. C’est une transformation structurelle, portée par une géné- ration née avec le smartphone à la main, rompue aux logiques de l’algorithme et aux formats courts. L’erreur serait de croire que ce mar- ché n’a pas de règles. Il en a, mais ce sont celles des plateformes, pas celles du code du commerce. ◆

Par K. A. A

u Maroc, une nouvelle forme de commerce émerge, portée par l’essor des réseaux sociaux. Avec plus de 12,4 millions d’utilisa- teurs sur TikTok et 11,9 millions sur Instagram, ces plateformes deviennent des places de mar- ché informelles où des milliers de vendeurs proposent vêtements, accessoires et produits de beau- té. Ce phénomène s’inscrit dans un contexte où le secteur informel représente environ 2,03 millions d’unités de production, dont 47% sont actives dans le commerce. Derrière cette explosion commer- ciale en apparence spontanée se cache pourtant une mécanique bien plus complexe : celle d’un écosystème numérique improvisé, sans intégration ni régulation, mais d’une efficacité redoutable. Ces dernières années, les réseaux sociaux sont devenus de véri- tables canaux de vente, souvent plus efficaces que les market- places officielles. Au Maroc, où les plateformes comme TikTok et Instagram comptent plusieurs mil- lions d’utilisateurs actifs, des mil- liers de vendeurs opèrent désor- mais uniquement en ligne, sans

site web, sans statut fiscal, sans aucun cadre structuré. À travers des vidéos engageantes, des mes- sages directs et des groupes pri- vés, ils créent un circuit commer- cial parallèle, rapide, agile, mais hors normes. Ce commerce numérique repose sur une utilisation intuitive et pour- tant très avancée des outils techno- logiques disponibles. Les vendeurs les plus performants maîtrisent les mécaniques de viralité, ana- lysent les tendances, adaptent leur offre au rythme des algorithmes. Un modèle de sweat-shirt repéré dans une vidéo virale le matin peut se retrouver proposé à la vente dès l’après-midi. En arrière-plan, tout s’organise par messagerie : Telegram est devenu le centre ner- veux de la logistique souterraine. C’est là que les commandes se centralisent, que les fournisseurs partagent les nouveautés, que les livraisons se négocient. Des chiffres révélateurs Le contraste est saisissant. L’écosystème dispose aujourd’hui de solutions technologiques avan- cées : paiements mobiles intero-

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