Ère magazine, édition avril 2023

IL ÉTAIT UNE FEUILLE Chaque année, l’éclosion de la première feuille du marronnier officiel, sur la promenade de la Treille, annonce l’arrivée du printemps à Genève. En cette année 2023, cette éclosion a eu lieu le 9 mars. Pour recueillir les impressions du célèbre marronnier sur la question, nous avons demandé à celui qui le fréquente quotidiennement de l'interviewer : son vis-à-vis, le presque tout aussi fameux banc de la Treille.

« Avec mes confrères, les autres marronniers de la Promenade, nous sommes 46 à adoucir les mœurs des passants aux belles saisons, grâce à notre frondaison luxuriante qui procure une ombre si bienfaisante.» Le marronnier de la Treille

Banc : On se tutoie ou on se vouvoie, pour l'interview ? Marronnier : On se tutoie ! Je tutoie toutes les célébrités et comme tu es connu comme étant le banc le plus long du monde avec tes 120 mètres, allons-y ! B. : Merci ! Si je n'étais pas aussi vert, je rougi- rais... Et tu tutoies quelles célébrités, à part moi ? M. : Oh ! depuis que je suis moi-même célèbre et célébré, j'ai eu l'occasion de tutoyer, notam- ment, Guillaume Henri, Vladimir Ilitch, Albert et un autre Henri. D'ailleurs eux aussi me tu- toyaient. Ils m'étaient reconnaissants.

B. : Je ne comprends pas... Qui sont ces gens ? Reconnaissants de quoi ? M. : Tu veux des noms de famille ? Dufour, Lénine, Cohen et Dunant. Ils venaient flâner ici pour se ressourcer, réfléchir, et ils m'étaient reconnais - sants de les apaiser. Grâce à moi, Henri Dunant est même devenu prix Nobel de la paix ! B. : Là, tu ne te vantes pas un peu ? M. : C'est vrai, je ne suis pas le seul à jouer les pacificateurs ! Avec mes confrères, les autres marronniers de la Promenade, nous sommes 46 à adoucir les mœurs des passants aux belles saisons, grâce à nos couleurs flamboyantes et à la qualité de notre frondaison luxuriante, qui procure une ombre si bienfaisante. B. : Dis, n'oublie pas que j'y suis pour quelque chose aussi ! C'est sur moi qu'on vient s'asseoir pour tous vous admirer ! Bon, l'heure est venue de parler un peu du printemps... M. : Alors là, pardon pour la rime, mais le prin- temps, c'est grâce à mon ami Laurent ! B. : Encore un prénom ! Laurent qui ? M. : Mais Laurent Koelliker pardi ! Le sautier, le secrétaire général du Parlement. C'est en- semble que nous faisons le printemps gene- vois. Dès les premiers jours de l'année, Laurent vient me scruter. Quand le moment approche, que mes bourgeons luisants et poisseux se gonflent et que finit par jaillir puis se détacher ma première douce et verte feuille, il commu- nique la nouvelle au public et aux médias. Ensuite, la date de cette éclosion est inscrite méticuleusement sur une tablette, recou- verte d’un parchemin, portant la mention

▲ La première feuille du marronnier fait généralement son apparition entre le 5 et le 24 mars.

« Observations sur la sortie des premières feuilles aux marronniers de la Treille ». Cette ta - blette se trouve dans la salle du Conseil d’Etat. B. : Heureuse république qui prend le temps de s’intéresser à une feuille de marronnier ! M. : Tu parles bien, pour un banc... B. : Dis-moi, ô marronnier, le bruit court, sur mon banc, que tu te mets au boulot de plus en plus tôt pour bourgeonner. C'est vrai ? M. : C'est faux et vrai à la fois. C'est faux parce que jamais un marronnier ne se mettra au bouleau, c'est une question de fierté géné - tique. Mais c'est vrai que nous bourgeonnons de plus en plus tôt. On parle du réchauffe- ment climatique, mais aussi du bétonnage de la ville qui augmente la réverbération, donc la chaleur. Mais ce genre de leçons, c'est plutôt aux élèves que ça s'adresse. Pas au banc, non ? B. : Tu as raison. Des confrères qui font bancs d'école me l'ont déjà dit. Encore une question. « Marronnier » c'est ton nom de famille, mais ton prénom c'est quoi ? M. : « Le Quatrième ». Parce que depuis que la coutume existe, je suis le quatrième marron- nier à faire le job de la première feuille.

B. : Pour faire écho à ce que tu dis, si on parle du « banc de la Treille » en général, il existe depuis 1767. Donc j'ai 256 ans. Mais, en toute modestie, comme j'ai été totalement refait à neuf en 2017, euh... j'arrive sur mes six ans. M. : Ah ah ! je vois ! un jeune banc-bec en somme ! B. : Monsieur le marronnier aime les jeux de mots ? Qu'il sache alors que le bois qui me compose est le frêne. Et que « freine », c'est ce que je chuchote à l'oreille du promeneur stressé, pour qu'il vienne prendre le temps de m’hono- rer de son postérieur. M. : Et prendre le temps de m'admirer ! Merci à toi pour ce travail d'équipe !

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èremagazine - avril 2023

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