Class & Relax N°45

revenant du restaurant, en taxi, on n’y voyait pas à 100 m devant nous ! Là, j’ai senti que le vol retour n’allait pas être de tout repos. Nous sommes montés dans l’avion, trempés, j’ai rentré toutes mes fréquences radio pour Paris, car je savais qu’en l’air on ne pourrait pas, que cela allait bouger un peu, et on a décollé : eau, gaz et électricité à tous les étages ! Pascal m’a dit en plai- santant : “C’est dommage, on a les glaçons et pas le whisky !”. Sur ce, on a perdu le pitot, qui était gelé, (il permet de détermi- ner la vitesse relative de l'aéronef par rapport à son environne- ment) et le mode S (transpondeur), ce qui a semé une belle ziza- nie ! L’avion se recouvrait de glace ! Je me tourne vers Pascal, pour partager mes pensées et lui dire que je m’applique un peu. Bien installé, tranquille, il me répond “Je sais exactement où nous sommes”. Je lui réponds : “Ce sera pratique pour appeler des secours !” A un moment il nous faut descendre un peu pour faire fondre la glace. A Toussus-le-Noble tous les hangars étaient fermés, nous étions les seuls à nous poser, droit dans l’axe. Le plus beau souvenir d’un vol à deux ! Notre sécurité n’a à aucun moment été mena- cée, nous sommes tous les deux pilotes et c’est dans ces moments-là que l’on connaît la valeur de la formation, en France. Beaucoup passent leur IFR à Miami, par beau temps : ce genre de situation doit être un peu plus difficile à gérer pour eux ! J’ai une autre anecdote intéressante à vous raconter. J’avais moins de 15 ans, je ne pilotais pas encore. Mes parents avaient un petit hôtel en Bretagne. Un jour un couple de Belges s’arrête, la dame a eu un accident : il reste quatre jours chez nous. Tous les soirs je parle avec le monsieur, d’avions, bien entendu. La

seulement pour le côté technique, je suis ingénieur de formation, mais parce qu’elle relie les hommes et les femmes, les cultures, qu’elle est un vecteur de paix. Mon premier vol ? C’était un Toulon-Paris, j’étais étudiant, je par- tais sans mes parents. Voler, c’est être libre. Voler seul quand on est jeune, c’est un sentiment de liberté encore plus puissant, c’est un peu grisant. La première fois, il y a ce côté excitant et anxiogène de l'avion qui se met en branle, qui prend de la vitesse et qui s'élève. Et tout d'un coup, comme par magie, d'une secon- de à l'autre, on est au-dessus des maisons, de la Mer Méditerranée. C'est mon souvenir le plus émouvant. Nous étions tous les deux en voyage d'affaires. Moi, je prenais Air France, elle une compa- gnie qui partait vers l'Asie. C’était à Delhi, on a passé un quart d'heure ensemble : un vrai coup de foudre ! Nous avons échangé nos cartes de visite. Deux mois plus tard je la demandais en mariage et elle venait vivre à Paris avec moi ! Quel impact sur nos destins, sur nos vies, l’aérien ! L’histoire ne s’arrête pas là, il y a autre chose de troublant, et tout aussi incroyable. Quinze minutes avant notre rencontre, ma future épouse lisait un livre dans le taxi qui l’emmenait à l’aéroport : l’autobiographie d’une Australienne qui tombe amoureuse d’un Français. Elle quitte tout pour le rejoindre à Paris. Le livre, fermé à la page 101, elle n’a pas eu le temps de le rouvrir depuis notre rencontre. Nous voici donc à la maison, elle reprend sa lecture, page 101 : description du quartier parisien où s’installe l’Australienne. C’est mon quartier ! C’est ici même que nous vivons. La vie est un roman. Mon plus beau souvenir de vol ? C’est plutôt un sou- venir de transit. J’ai rencontré ma femme dans un aéroport.

veille de son départ il m’offre un gros livre emballé, à voir plus tard. Je me réjouis à l’idée qu’il vient probable- ment de m’offrir un beau livre sur les avions. Quand arrive le moment tant attendu, je découvre l’ouvrage : Des Pays et des Hommes . C’est un superbe livre, que j’ai toujours. Je suis quand même un peu déçu, il n’est pas consa- cré aux avions. Il faudra, des années plus tard, que je lise Saint-Exupéry, avec cet avion, telle une charrue, qui trace un sillon entre les hommes dans le ciel pour les relier, pour avoir cette révélation : ce monsieur voulait me faire comprendre ce que j’ignorais encore, à savoir qu’au-delà de l’avion, ce que l’on aime tant, c’est le voyage.

Thierry de Bailleul

Thierry de Bailleul est CEO de Madagascar Airlines.

Thierry de Bailleul : Mon premier souvenir d’un avion est lié au premier souvenir que j’ai de mon père. Je suis enfant, très jeune. Avec ma mère, j’at- tends mon père qui revient d’Algérie. Je revois l’aérogare du Bourget et mon père qui vient vers nous, depuis le tarmac. Tout cela, c’est le fil conducteur de ma vie. J’aime cette industrie, non

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