FNH N° 1187 (1)

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FINANCES NEWS HEBDO

VENDREDI 7 MARS 2025

Fintech «L’IA a littéralement changé les règles du jeu»

L’essentiel réside dans la capacité à identifier des jeux de données perti- nents et à entraîner des algorithmes dédiés à un cas d’usage précis. Ce schéma est d’autant plus parlant pour le Maroc qu’il peut, par exemple, étendre cela pour améliorer davantage la ban- carisation des zones rurales, le dévelop- pement d’assistants virtuels multilingue en arabe, amazigh et autres langues pour un suivi client 24h/24 et l’auto- matisation du contrôle KYC dans un environnement où la sous-bancarisation reste un défi majeur. Ces avancées IA ont transformé de manière radicale notre façon de travailler chez Atela, du prototypage jusqu’au déploiement en production. Pour donner un ordre de grandeur, nous avons réduit d’environ 80% le temps passé à la consolidation et au nettoyage de données financières grâce à nos algorithmes internes d’ex- traction et de validation. L’IA généra- tive que nous avons intégrée dans nos process nous permet de générer des analyses, présentations et recomman- dations à la volée, libérant du temps pour l’innovation et la recherche pure. Autrement dit, l’innovation n’est plus séquentielle, mais quasi simultanée. F.N.H. : Dans quelle mesure l’émergence des fintechs a-t- elle transformé le secteur ban- caire marocain, et quels sont les principaux défis pour une intégration optimale ? S. G. : Le secteur bancaire maro- cain évolue de façon de plus en plus concrète vers l’automatisation et l’IA, mais les chantiers sont souvent moins visibles que la digitalisation frontale (applications mobiles, sites web). En back-office, plusieurs banques ont déjà mis en place des modules de recon- naissance de documents et de signa- ture électronique, facilitant le traitement des dossiers et réduisant sensiblement les délais de validation. Même si l’on ne dispose pas encore d’un KYC entière- ment automatisé à grande échelle, on constate des progrès notables : cer- taines institutions croisent déjà les don-

Le secteur des fintechs au Maroc connaît une forte croissance, soutenue par des avancées technologiques comme l’intelligence artificielle et la blockchain. Des initiatives comme le Morocco Fintech Center favorisent la collaboration entre acteurs publics et privés, facilitant la transformation digitale des services financiers. Entretien avec Sofiane Gadrim, directeur des nouvelles technologies (CTO) et co-fondateur d’Atela.

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Quel regard portez-vous sur l’évolu- tion du secteur des fintechs au Maroc ces dernières années, tant en termes de croissance, d’innovation que de réglemen- tation ? Sofiane Gadrim : Le plus fascinant dans la fintech aujourd’hui, c’est la façon dont l’IA a littéralement changé les règles du jeu. Il y a encore un an, se lancer dans la conception d’un modèle d’IA capable de rivaliser avec ceux des géants comme OpenAI relevait presque de l’utopie, tant les coûts se chiffraient en milliards. Mais les dernières percées technologiques, illustrées par des ini- tiatives comme DeepSeek, ont bous- culé ce paysage de façon radicale. On peut désormais entraîner et affiner un modèle performant avec des budgets infiniment plus modestes, en combi- nant astucieusement ressources open source, infrastructure cloud et exper- tises locales. Certes, les défis d’infras- tructure subsistent; il ne suffit pas d’une connexion Internet basique pour mani- puler des téraoctets de données, mais

l’essentiel de la valeur réside mainte- nant dans la créativité, la pertinence des données et l’aptitude à concevoir des use cases pertinents. Au Kenya, par exemple, des fintechs comme Tala utilisent des modèles pré- dictifs pointus pour évaluer la solva- bilité d’emprunteurs n’ayant pratique- ment aucun historique bancaire, en s’appuyant simplement sur leurs don- nées téléphoniques ou leur usage des réseaux sociaux. Résultat : un système de microcrédit hyper-réactif, capable de gérer des milliers de demandes en temps réel sans solliciter de gigan- tesques infrastructures. Au Nigeria, Paystack a mis en place une plateforme de paiement intelligente qui surveille chaque transaction de bout en bout. Son IA apprend en continu des schémas d’activité des utilisateurs et peut bloquer automatiquement une opération suspecte en quelques milli- secondes. Au Brésil, Nubank a déve- loppé un écosystème d’outils prédictifs qui personnalise l’expérience client de manière granulaire, de l’attribution de limites de crédit jusqu’au ciblage mar-

keting, en fonction du comportement de chaque titulaire de carte. Enfin, Attijariwafa bank a amorcé une stratégie data-driven qui s’étend à plusieurs de ses filiales en Afrique. Concrètement, elle utilise des algo- rithmes d’apprentissage pour conso- lider et analyser, en quasi temps réel, les flux de transactions issus de diffé- rents marchés. L’objectif est d’affiner le scoring crédit, détecter plus rapi- dement la fraude et personnaliser les offres bancaires en fonction des spéci- ficités locales. Ainsi, un emprunteur au Sénégal ou en Côte d’Ivoire bénéficie d’une évaluation de risque instantanée, tandis qu’un client marocain voit ses transactions transfrontalières validées plus vite et avec une meilleure visibilité sur les taux et les frais. Grâce à cette mutualisation de la data et aux briques d’IA qui tournent sur des infrastruc- tures cloud relativement accessibles, le groupe peut itérer sur de nouveaux produits comme la carte de paiement régionale, l’assurance à la demande, solutions de paiement mobile, sans alourdir ses coûts.

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