Lire La Gazette - avril 2024

CHRONIQUE ART ET PHILOSOPHIE

| AVRIL 2024

La fin de l’édition québécoise du Sélection du Reader’s Digest n’a rien d’anodin

Annoncée en décembre dernier, la décision de mettre fin à la publication était appréhendée par les gens du milieu, mais elle n’en a pas moins été empreinte d’une certaine tristesse, vu la popularité de ce périodique centenaire.

part à l’emploi de journalistes d’ici ainsi qu’à la production de contenus d’actua- lité adaptés au Québec, de traductions et d’articles de vulgarisation. Pour plusieurs enfants (dont j’ai été), le Reader’s Digest constituait une fa- çon d’apprendre sur des sujets variés. Il devenait une ressource éducative pour beaucoup de personnes, surtout en milieu rural où les bibliothèques ne se trouvaient pas « au coin du rang ». Même si, avec le temps, le magazine était devenu pour beaucoup un plaisir coupable – inoffensif mais instructif –, sa disparition emportera malheureuse- ment un pan d’histoire de nos régions. L’ŒUF OU LA POULE : DE QUOI MEURENT LES MAGAZINES ? Pendant la pandémie, je m’étais abon- née au Sélection par attachement senti- mental, comme une sorte d’hommage à mes grands-parents pour qui la lecture était un luxe dont ils ne se seraient pri- vés pour rien au monde, malgré le peu de temps qu’ils avaient à y consacrer. Mes dernières lectures ont été déce- vantes : après un court paragraphe, on me renvoyait constamment au site web, alors que j’avais choisi un magazine for- mat papier. Si j’avais voulu opter pour la version numérique, je l’aurais fait ! On dira que je vis dans le passé. Je ré- pondrai que la roue n’est pas une inven-

MÉLISSA THÉRIAULT PROFESSEURE EN PHILOSOPHIE ET AUTEURE

Fondé en 1922 par un couple franco- américain qui lance sa maison d’édition dans l’État de New York, le Reader’s Di- gest gagne en popularité et se déploie au fil des décennies dans une quaran- taine de pays et en presque autant de langues. L’édition québécoise apparait en 1947, puis le petit magazine au style distinctif gagne les foyers et les cœurs de la Belle Province. Pendant ce temps, le succès économique de l’entreprise- mère mène ses propriétaires à la philan- thropie, avec la création de la fondation Wallace, vouée à l’éducation des jeunes et au soutien des arts. Au Québec, beaucoup de nos grands-pa- rents étaient très faiblement scolarisé mais savaient lire. Un magazine comme le Sélection était par conséquent une rare source de divertissement et d’ouverture sur le monde pour les personnes ayant des difficultés en littératie. De plus, la qualité des illustrations contribuait à l’attrait de cette publication. Axée sur le vivre-ensemble et la santé, et de fac- ture soignée, elle a contribué d’une part à la littératie chez les adultes, et d’autre

tion récente, alors est-ce que je suis ré- trograde si j’aime faire du vélo ? Il en va de même avec certains modes de publi- cation : le fait que le format ne soit plus au goût du jour ne dit rien de sa valeur, puisque lire sur papier demeure une ha- bitude prisée et répandue. Mais la socié- té-mère états-unienne n’avait plus d’in- térêt financier dans la survie du fameux Digest . En réalité, le lectorat francophone nord-américain n’était plus assez lucra- tif, tout simplement. Ironiquement, si beaucoup prenaient le petit magazine de haut, avec un certain snobisme même (justement parce qu’il était accessible aux gens qui n’avaient pas eu accès à une éducation poussée), les gens du milieu journalistique savaient que son proces- sus éditorial était d’une grande rigueur, ce qui devient rare dans nos communica- tions : des sources vérifiées, des preuves

matérielles, des journalistes-pigistes ré- munéré-es décemment pour un travail exigeant une vraie expertise . L’épaisseur du magazine avait fondu avec les années, mais la rigueur y était toujours . Maintenant que son dernier numéro québécois vient de paraître, ce qu’il nous reste à faire est de recon- naître l’utilité que le Reader’s Digest a eue pour bien des gens, mettre la main sur les exemplaires qu’on trouve chez les brocanteurs, y apprécier le portrait de l’époque qui y est dressé et nous de- mander ce qu’on veut léguer au lectorat du futur.

ARTICLE INTÉGRAL AU au www.gazettemauricie.com

CHRONIQUE HISTOIRE

La composition démographique de Trois-Rivières en 1911 Durant la seconde moitié du XIX e siècle, le petit centre urbain qu’est Trois-Rivières compte 9 000 habitants. Parmi ces résident-es, on trouve une diversité démographique « quant à l’origine géographique de ses habitants ». En effet, « environ 1 700 sont nés à l’extérieur de la ville, au Québec pour la plupart », alors que quelque 200 personnes proviennent de l’étranger . Dès lors, les Trifluvien-nes francophones cohabitent avec « une centaine d’Irlandais, une soixantaine d’Écossais et d’Anglais et d’une quinzaine de ressortissants américains » et sans oublier des habitants provenant des Premières Nations, comme les Atikamekw. Parallèlement, « les recensements du Canada indiquent la présence d’Autochtones dans [plusieurs] villages de la Mauricie ainsi qu’à Trois-Rivières ». Dans la première décennie du XX e siècle, Trois-Rivières est donc composé d’une mosaïque de petites communautés ethniques et de familles immigrantes d’origines très diversifiées.

principaux groupes recensés en 1911, puisqu’aborder l’ensemble des groupes minoritaires serait un travail colossal. LES SYRIEN-NES ET LES JUIF-VES D’EUROPE DE L’EST AU DÉBUT DU XX E SIÈCLE Le processus d’immigration pour ces deux groupes s’effectue sensible- ment de la même façon, c’est-à-dire par un mode de migration en chaîne. Selon Normand et Bellavance, on ob- serve chez les Syrien-nes et les Juif- ves d’origine roumaine et polonaise, que « [d’abord], l’homme ou le jeune couple (jamais la femme seule) s’établit à demeure et ouvre [un commerce]. En- suite, après la naissance des premiers enfants, et une fois que le commerce aura suffisamment prospéré pour leur procurer un emploi stable et un logis, les parents sont appelés à les rejoindre. » Dans ces conditions, le nombre de fa- milles augmente graduellement, ce qui permet d’assurer la pérennité de du « ré- seau familial » . Mais quels métiers ces gens exercent-ils à Trois-Rivières? Selon le recensement de 1911, les Juif- ves déclarent occuper à leur arrivée des emplois de commerçants, de détail- lants, de commis de ventes ou de col-

porteurs. On observe approximative- ment les mêmes types d’emploi chez certains ménages syriens. Outre les Syrien-nes et les Juif-ves, Trois-Rivières accueille également une population chinoise qui s’ajoutera à la mosaïque démographique du début du XXe siècle. LA POPULATION CHINOISE TRIFLUVIENNE L’immigration chinoise débute dès la seconde moitié du XIXe siècle au Cana- da. Les Chinois-es sont attiré-es, entre autres, par la ruée vers l’or dans l’Ouest canadien dès 1858 et par la construc- tion du chemin de fer du Canadien Pa- cifique vers 1880. La fin de la construc- tion du chemin de fer dans l’Ouest force alors ces immigrant-es à se chercher des emplois dans les autres provinces cana- diennes, dont le Québec . C’est donc à partir de 1911 que la crois- sance de la communauté chinoise de Trois-Rivières se fait sentir. Cette popu- lation est « omniprésente dans le sec- teur de la buanderie, [ou] à un emploi lié au nettoyage et au repassage » . En ce sens, on retrouve des buanderies dans l’ensemble des quartiers trifluviens où

la demande de services l’exige. Il est à noter qu’en 1923, le gouvernement ca- nadien adopte des lois limitant ou ex- cluant l’immigration chinoise . Dès lors, plusieurs hommes venus travailler sur le chemin de fer seront malheureuse- ment coupés de leur famille. CONCLUSION L’objectif ici n’était pas de brosser un portrait exhaustif de tous les groupes minoritaires de Trois-Rivières au début du XXe siècle, mais plutôt d’y présenter la diversité démographique. Ces nouveaux arrivants, toutes natio- nalités confondues, ont travaillé sans relâche afin de vivre une vie décente, et ce, malgré certaines contraintes et l’ex- clusion de la part de leur société d’ac- cueil et des gouvernements. Cependant, il me semblait intéres- sant de présenter ces trois principaux groupes minoritaires qui ont laissé une trace indélébile dans notre histoire et notre mémoire « collective urbaine », puisque, encore aujourd’hui, ils sont bel et bien présents dans notre paysage dé- mographique en plus de l’enrichir, et ce, pour notre plus grand plaisir.

FRANCIS BERGERON HISTORIEN

DIVERSITÉ DÉMOGRAPHIQUE À TROIS-RIVIÈRES

Au début du XX e siècle, la population francophone domine l’espace urbain et ses institutions. Effectivement, les élites francophones « investissent mas- sivement la vie politique locale et ré- gionale » et l’Église catholique exerce une grande influence, puisque celle-ci regroupe 97 % de la population . Mais qu’en est-il des groupes minoritaires ? Selon France Normand et Claude Bel- lavance , les trois principaux groupes minoritaires dont l’origine n’est pas an- glaise, et qui sont présents en 1901, sont les Allemand-es (20), les Chinois- es (9) et les Juif-ves (11) sur un total de 89. En 1911, les Syrien-nes (29) s’ajoutent au côté des Chinois-es (17) et des Juif-ves (18) sur un total de 183 personnes provenant de l’étranger. On recense parallèlement d’autres groupes minoritaires à Trois-Rivières. comme les Italien-nes, les Antillais-es et les Norvé- gien-nes . Je me limiterai donc aux trois

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