Pouvoir et progrès xii •
dans un bâtiment circulaire avec la bonne lumière, des gardes placés au centre du complexe pouvaient créer l’impression de surveiller tout le monde en permanence, sans être observés en retour – une manière très efficace (et peu coûteuse) de s’assurer d’une bonne discipline. L’idée a d’abord suscité l’intérêt du gouvernement britannique, qui n’a cependant pas trouvé les financements et n’a donc jamais construit de prison selon ce modèle. Cependant, le panoptique a laissé une marque dans notre imaginaire collectif : pour le philosophe français Michel Foucault, en tant que système de surveillance et d’oppression au cœur des sociétés industrielles ; pour George Orwell dans 1984 , en tant que mécanique de contrôle social omniprésent ; pour Marvel dans le film Gardiens de la galaxie , en tant que mauvais concept de prison permet- tant une évasion audacieuse. Avant qu’on ne propose le panoptique comme prison, c’était une usine. On doit l’idée originale à Samuel Bentham, le frère de Jeremy, ingé- nieur naval au service du prince Grigori Potemkine de Russie. L’idée de Samuel était de permettre à une poignée de contremaîtres de surveiller le plus de travailleurs possible. La contribution de Jeremy fut d’étendre le concept à d’autres formes d’organisations. Comme il l’expliquait à un ami : « Vous serez surpris quand vous viendrez et verrez l’efficacité de ce schéma pourtant simple et même évident en matière de gestion des écoles, des usines, des prisons, et même des hôpitaux… » Il est aisé de comprendre l’attrait du panoptique – surtout si vous êtes à la tête d’une organisation – et ses contemporains n’ont pas laissé passer cette information. Une surveillance plus poussée mènerait à un com- portement millimétré, et il était facile de voir ce que la société pourrait en tirer. Jeremy Bentham était philanthrope, désireux d’améliorer l’effi- cacité de la société et d’aider tout le monde à être plus heureux, tout du moins selon sa vision du bonheur. On attribue à Bentham l’invention de la philosophie de l’utilitarisme, qui implique de maximiser le bien-être combiné d’une société entière. S’il est possible de faire payer quelques individus un petit peu pour améliorer grandement le bien-être de nom- breux autres, alors cela vaut le coup.
© 2024 Pearson France - Pouvoir et Progrès Daron Acemoglu, Simon Johnson
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