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JEUDI 20 OCTOBRE 2022
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bêtes qui bêlent et caquettent encore. Puis, il se résigne, admet qu’il n’a pas le choix et se laisse faire, tremblant de peur. Il se blottit dans les bras de Mina, toute de blanc vêtue. Elle prend place sur un siège au milieu de la cour. Reda s’accroche à elle comme un bigorneau à sa coquille. En face d’eux, la troupe de musiciens entonne en chœur « Rebbi ya Moulay, Rebbi ya Moulay ya Sidi [ritournelle
de Ftouh Rahba]». Du bra- sero émanent d’envoûtants effluves de benjoin, qui couvrent l’odeur du sang. Abdelkader, le mari de Mina, vient de trancher le cou du bouc. Auparavant, il a revêtu sur sa djellaba une longue
Une lila se déploie en cinq moments : le sacrifice, le repas, le cortège, les koyou et les danses de posses- sion.
tunique rouge, couleur de mlouk (plu- riel de melk ) des abattoirs. L’un de ses assistants tend un bol et recueille un peu du sang qui jaillit de l’animal. Abdelkader le récupère, y trempe un doigt et marque le front de Mina. Un moment solennel et saisissant qui ne laisse personne indif- férent. Puis le bol rejoint sur une petite table l’encens, une soupière pleine de lait, les dattes et les aspersoirs d'eau de rose et de fleur d’oranger. Abdelkader tombe l’habit rouge et rejoint les autres musiciens. Après avoir endossé la tunique du sacrificateur, il s'assit à la droite du maalem , celui qui est habilité à jouer du guenbri , « instru- ment qui appelle les esprits ». Et ces derniers répondent présents. Ils s’em- parent d’abord de Mina. Quasi simul- tanément, une femme se met à quatre pattes devant la troupe. Son foulard s’envole, sa longue chevelure de jais jaillit et ondule. Sa tête va et vient, de droite à gauche, de haut en bas. Comme par ricochet, une autre jeune femme se met à pousser d’insoutenables gémis- sements, puis tombe dans les pommes. On la couvre d’un voile noir. On lui fait respirer du benjoin. Petit à petit, elle revient à elle. Étrange chorégraphie et délectable effroi. La musique, les chants finissent par apaiser les corps en colère. Les musiciens déposent leurs instruments. Ils clôturent ce prélude par des prières et souhaitent santé à Mina et à l’assistance : « Prions sur notre Prophète. Dieu est le plus Grand. Dieu, le miséricordieux (…) Prions. Que chacun obtienne selon son mérite. Que chaque serpent se tue avec son propre venin. Nous sommes dans la derdeba (…) Prions pour les parents qui
pitié, Seigneur’’]». « On demande à Dieu qu’il nous aide à nous ‘’vider’’ de tous nos péchés. Il signifie la guérison ». Avant que les Gnaoua, munis de tam- bours et de crotales, ne se mettent à arpenter les rues, un musicien arrose les jeunes filles d’eau de fleur d’oran- ger. Tour à tour, elles trempent leurs lèvres dans une même louche pleine de lait parfumé de fleur d’oranger, puis croquent une datte. Cette procession chantante fait partie de la âada (la coutume). « La derdeba est une célé- bration. On l'annonce à travers L’âada (...) Nous, les Gnaoua, nous disons : ‘’L’âada, c’est l’entrée, c’est l’ouver- ture’’. Sans elle, les ‘’invisibles’’, les ‘’autres’’ ne pourraient pas circuler… Au fait, c’est pour ‘’les’’ inviter (…) Après avoir fait un petit tour, la proces- sion revient dans la maison. On revient où on fait la derdeba ». De retour au lieu où se tient la lila, les Gnaoua exécutent quelques danses acrobatiques, ensuite se préparent
sont morts. Que les prisonniers soient libérés. Que Dieu accomplisse les sou- haits de chacun. Que tout le monde soit béni… Allez-y ! Allez-y, mes frères » ! Et par un bref « Amin », ces derniers ponc- tuèrent chacune des implorations. Fin de l’acte ! Une pause s’impose. Les musiciens doivent manger (poulet aux citrons confits), boire (du thé) et fumer (du kif). Ce n’est qu’après que les choses sérieuses pourront commencer. Chants et danses profanes La maison se remplit. Amis, proches, voisins, tous affluent. Le petit Reda s’est débarrassé de ses tuniques et autres voiles. Il gambade dans la cour en se demandant quelle bêtise inventer. Des jeunes filles se dirigent vers Mina. Elle remet à chacune d’elles une bougie allu- mée. En file indienne, elles regagnent la cour intérieure. Le cortège effectue plusieurs circonvolutions autour de la troupe qui chante l’« Aafou ya Moulana [terme mystique qu’on traduit par ‘’aie
L’âada, c’est l’entrée, c’est l’ouverture. Sans elle, les ‘’invisibles’’, les ‘’autres’’ ne pourraient pas circuler… Au fait, c’est pour ‘’les’’ inviter.
On appelle lila, nous instruit Abdelhafid Chlyeh, psychothérapeute et anthropologue, dans Les Gnaoua d’Essaouira, une cérémonie au cours de laquelle certains participants en état de transe sont censés être habités par des entités surnaturelles qui font partie des croyances de la confrérie. Par là, cette cérémonie doit être définie comme un rite de possession dont l’origine se trouve essentielle- ment en Afrique noire. Ce rite présente des analogies, avec des cérémonies comme le bori haussa, le stambali tunisien, le vaudou haïtien, le culte des zar égyptien, éthiopien et soudanais et la macumba brésilienne. «Lila» ou «derdba»… peu importe !
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