BOURSE & FINANCES
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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 10 AVRIL 2025
D’abord, c’est un pas vers une modernisation du système monétaire et des paiements. Cela permettrait d’inclure davantage de citoyens dans l’écosystème financier, notam- ment ceux qui ne sont pas bancarisés. Ensuite, cela pour- rait faciliter les échanges inter- nationaux, en particulier avec d’autres pays africains qui développeraient aussi leurs monnaies numériques. Une plateforme commune pour- rait ainsi permettre des règle- ments directs entre devises numériques locales. Enfin, cela offre des outils puissants pour améliorer la traçabilité, la sécurité des transactions et même pour introduire des poli- tiques monétaires plus fines grâce à la programmabilité de la monnaie. F. N. H. : Qu’entend-on par «risque frontalier» dans le cas du Maroc ? B. B. : Le risque frontalier se pose quand une monnaie numérique nationale pourrait être utilisée au-delà des fron- tières, sans contrôle strict. Cela pose un défi en matière de souveraineté monétaire, surtout pour un pays comme le Maroc qui a un régime de change partiellement contrôlé. Une diffusion incontrôlée du Dirham numérique hors fron- tières pourrait perturber la politique de change et même favoriser certains usages illi- cites. D’où l’importance d’un encadrement juridique et tech- nologique strict dès le départ. F. N. H. : Quels ensei- gnements peut-on tirer des pays qui ont déjà expérimenté ou adopté une monnaie numérique? Est-ce concluant ? B. B. : L’expérience est encore jeune, mais on observe une tendance claire : plusieurs pays, notamment en Asie et en Afrique, avancent vers des pilotes ou des mises en œuvre concrètes. En Chine, par exemple, le Yuan est déjà en phase de test avancée. Ces projets montrent que la
Le Dirham numérique expliqué.
technologie est mature, mais les défis règlementaires, tech- niques et sociaux restent. L’adhésion des citoyens et la compatibilité avec les sys- tèmes financiers existants sont aussi des enjeux majeurs. Globalement, les retours sont encourageants, mais la mise en œuvre doit être progressive et bien pensée. Un exemple notable à ce sujet est le projet E-Naira, lancé en 2021 par le Nigeria, qui se veut la première expérience de monnaie numérique en Afrique, voire dans le monde. Cependant, ce projet peine à décoller, avec moins de 0,5% d'adoption après deux ans. Plusieurs facteurs expliquent cet échec : • Manque d'incitations écono- miques : Absence de réduc- tion de frais significative, pas d’avantages fiscaux ou de cashback, et faible adoption par les commerçants. • Restrictions excessives : Plafonds transactionnels trop stricts et interdiction pour les non-résidents d’accéder à la monnaie numérique. • Crise de confiance : Une crise de confiance généralisée dans les institutions financières a également joué un rôle majeur dans cet échec. Face à l’inflation galopante
et à la dévaluation du Naira, les Nigérians se sont massi- vement tournés vers le Dollar et les cryptomonnaies, notam- ment le Bitcoin, surtout lors de la pénurie de cash en 2023, préférant ces alternatives décentralisées plutôt que la solution officielle proposée par la Banque centrale. Cet échec met en évidence l’importance de plusieurs fac- teurs pour assurer le succès d’un projet de monnaie numé- rique : • Miser sur l’éducation finan- cière : Des campagnes grand public et des démonstrations sont nécessaires pour encou- rager l’adoption de la monnaie numérique. • Collaborer avec les banques et fintechs : Une intégration fluide au sein des systèmes financiers existants est essen- tielle pour garantir la réussite de la monnaie numérique. • Offrir des avantages concrets: Des avantages tangibles, comme des frais réduits ou des subventions ciblées, sont nécessaires pour attirer les uti-
lisateurs. • Éviter les restrictions exces- sives : Tout en contrôlant les risques, il est crucial de ne pas imposer des limitations trop strictes, qui pourraient freiner l’adoption. F. N. H. : Pour conclure, quels seraient les impacts potentiels de l’introduc- tion d’un Dirham numé- rique sur la politique monétaire et la stabilité financière du Maroc ? B. B. : Un Dirham numérique offrirait à la Banque centrale de nouveaux leviers de poli- tique monétaire. Par exemple, en cas de crise, elle pour- rait injecter directement de la monnaie dans les portefeuilles numériques des citoyens, sans passer par le système ban- caire classique. Cela ouvre la voie à une réactivité accrue et à une meilleure transmis- sion des décisions monétaires. Cependant, il faudra veiller à ne pas fragiliser les banques commerciales, qui pourraient perdre une partie de leur rôle d’intermédiaires. Quant à la stabilité financière, elle pour- rait être renforcée grâce à une meilleure transparence et tra- çabilité des flux monétaires, tout en limitant les risques de blanchiment ou de fraude. ◆
Contrairement à la monnaie scripturale ou classique, la monnaie numérique est réellement échangeable, peer-to-peer, sans passer nécessairement par une banque commerciale.
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