Carillon_2020_01_16

50 ANS DE CINÉMA INDÉPENDANT À GRENVILLE ENTREVUE

CRISTIANA MANDRU cristiana.mandru@eap.on.ca

Avant de se lancer dans l’industrie du cinéma, Yvon Myner n’avait aucune expérience dans ce domaine. Seulement une indépendance féroce et une volonté indomptable de vouloir travailler à son compte. Puis, le 1er janvier 1970, il a eu l’occasion de sa vie: celle d’acheter un cinéma tout près de sa ville natale, Hawkesbury, et de se lancer dans une voie dont il ne connaissait pas grand-chose à l’époque. Sa conjointe, Danielle Lacasse, qui partage sa vie depuis 43 ans et qu’il a épousée «après 35 ans de fréquentation», comme il aime plaisanter, a appris tous les règlements du cinéma, à partir des réservations, la tech- nique de projection, les finances, la compta- bilité…«Quand je suis tombémalade l’année passée, elle a pris le contrôle de tout ça. Heureusement, Danielle c’est mon bras droit. Elle fait un maudit bon travail. Les femmes sont intelligentes.» Depuis les débuts, les deux conjoints ont tout fait d’eux-mêmes: toute la direction du cinéma, les réservations et les règlements avec les compagnies de films, les finances, la comptabilité, la publicité, les promotions spéciales, ainsi que le travail avec les écoles (ententes avec les écoles portant sur un thème convenable pour un jeune public). «On fait tout comme cinéma indépendant. On fait nos règlements nous-mêmes, sans intermédiaires. C’est d’ailleurs comme ça que cela a toujours fonctionné. Il y a 50 ans, cela faisait partie du métier. Il y avait davantage de cinémas indépendants. Il n’y avait pas d’intermédiaires, pas d’agents. C’est ainsi que les cinémas fonctionnaient. On est très proches de nos affaires. Quand on laisse ça entre les mains des autres, des fois, on en perd de grands bouts.» Le cinéma Laurentien, en tant que deuxième plus vieux cinéma au Québec, à travers son existence au cours de ces cinq dernières décennies, a attiré le regard d’une équipe de réalisation qui en a fait un film appelé Un cinéma près de chez nous, diffusé par la

Yvon Myner et sa femme, Danielle Lacasse, devant la grande entrée dans le cinéma Laurentien. Photo de la une : le couple dans la salle Eunice Macaulay, nommée après l’animatrice-graphiste et productrice, une cliente régulière du cinéma pendant des dizaines d’années. —photo sCristiana Mandru

chaine Historia, qui le repasse régulièrement de temps à autre. Cela a été bon pour les affaires puisque cela leur a apporté beaucoup d’exposition, les gens les reconnaissaient et étaient fiers qu’un cinéma qu’ils fréquen- taient fasse partie de l’histoire commune de la région. En 1973, M. Myner a aussi acheté un autre

cinéma, à Lachute, qu’il a vendu en 1988. Avec l’argent obtenu par la vente, M. Myner, en judicieux homme d’affaires, a agrandi le cinéma Laurentien en bâtissant une nouvelle salle. Parmi les moments qui ont marqué l’his- toire du cinéma Laurentien, M. Myner cite l’engouement dans les années 1970 pour les films adultes, la concurrence pour les films anglophones avec les deux autres cinémas locaux et le cinéparc de l’époque. Étant donné que la plupart de la clientèle qui venait au cinéma était bilingue, ils ne voulaient pas voir des films américains en français, ce qui reste le cas, même aujourd’hui. C’est pour cela que les films jouent cinq jours dans leur version originale en anglais et deux jours en français, avec des traductions effectuées au Québec, plus pertinentes pour les francophones d’ici, estime Mme Lacasse. Les films qui ont marqué l’histoire du cinéma Laurentien: The Lovebug, le film qui a attiré le plus de monde au cinéma, Titanic, qui est resté à l’affiche pendant un nombre record de 17 semaines, Airport, Avatar... La plupart des films québécois à l’affiche sont des succès assurés, selon Mme Lacasse. Ce sont toujours des primeurs que les spec- tateurs vont retrouver dans leur cinéma de Grenville, les films dans les dix premières positions dans les grandes villes.

La politique des compagnies de films a aussi changé au cours de cette cinquantaine d’an- nées. Avant, les couts d’exploitation des films diminuaient graduellement une fois que les premières semaines passaient. Aujourd’hui, tout est basé sur les revenus. De ce fait, les pourcentages peuvent monter de 50%à 65%, en fonction du succès du film au box-office. M. Myner note que lorsqu’il a commencé dans l’industrie, c’était 30% en moyenne. Tout a donc plus que doublé depuis ses débuts. C’est d’ailleurs son seul regret vis-à-vis l’industrie du cinéma. «Les grosses compa- gnies américaines nous ont exploités au bout, à la limite. Plusieurs cinémas ont fermé et beaucoup de gens ont été privés de films.» Il y a six compagnies majeures de cinémas qui décident de la pluie et du beau temps dans l’industrie et elles emboitent le pas les unes aux autres. Les compagnies n’ont pas appris. Les prix d’exploitation sont encore dis- pendieux, mais cela semble vouloir changer tranquillement», estime M. Myner. C’est ce qui a contribué àmarginaliser un peu l’industrie du cinéma, en fin de compte. «Mais si on tra- vaille fort, on parvient à se sauver un peu et à rester 50 ans en affaires», a-t-il fait remarquer. Ses grandes fiertés: avoir passé à travers deux ou trois crises du cinéma, alors que certains cinémas ont été obligés de fermer, devant la compétition des grandes chaines de cinéma,

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