FNh N° 1050

C ULTURE

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FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 13 JANVIER 2022

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Exposition

◆ Actuellement au Comptoir des Mines Galerie, une somptueuse invitation à la vie vagabonde et à l’œuvre brillantissime de Mohamed Kacimi, un peintre lucidement inquiet au point de remettre son art perpétuellement en question et de le faire baigner dans de lointaines et fécondes sources afin qu’il en recueille l’eau vive. Mohamed Kacimi, peintre nomade et poète errant I l est des vocations qui, pour éclore, empruntent des chemins sinueux. Celle de Mohamed Kacimi pour l’art pic- Défiance envers les écoles et les courants Par R. K. Houdaifa

hommes qui hantent ses toiles sont épurées à l’ex- trême, réduites à l’essentiel : une présence spectrale dans un monde qui leur demeure hostile et étrange. Kacimi n’a jamais cessé de poser sur les humains un regard à la fois tendre et lucide. Sa peinture est mélancolique, sa poésie romantique, ses prises de position politiques toujours fidèles à une éthique de l’en- gagement qui nous manque cruellement aujourd’hui ». La peinture de Kacimi est

Si Kacimi, au fil de son par- cours, a parfois accompa- gné tel ou tel groupe, il a le plus souvent bifurqué vers des sentiers solitaires. Moins par esprit de dissidence que par besoin d’éviter le confi- nement. De cette phobie de claustration provient son rejet viscéral de toute obédience à un système, à une école ou un courant. Au grand dam des catalogueurs patentés, qui se retrouvent désem- parés face à ses fresques où s’estompe la commode opposition entre abstraction et figuration. Implacablement rebelle aux infertiles conven- tions, obstinément sourde aux appels des sirènes des modes tapageuses, la pein- ture de Kacimi affirme son unicité et impose, par son art de la matière et par le jeu subtil des transparences, sa profondeur. Elle est à nulle autre pareille. Kacimi « jette des formes sur toile, images du corps, figures évanescentes qui incorporent la matière et suivent son rythme. A travers sa quête picturale, où s’efface toute opposition entre abstraction et figuration, signe et écri- ture, ligne et couleur, ces traces successives, énigma- tiques évoquent les palimp- sestes », écrit Brahim Alaoui en postface du livre Kacimi. Quant à Mostafa Chebbak, il trouve que « les silhouettes

tural jaillit dans le «sillage» quotidien d’un personnage excentrique. Muni de gor- gés de peinture noire, ce dernier arpentait d’un pas ferme rues et venelles de Meknès puis, s’arrêtant net devant une muraille, l’asper- geait de signes ésotériques. Intrigué, l’enfant Kacimi, qui s’attachait aux pas du curieux bonhomme, s’échinait vaine- ment à percer le secret des inscriptions. C’est de cette fascinante inaccessibilité que, sans doute, naquit son pen- chant pour la peinture. Il avait à peine sept ans. Depuis lors, il se trouvait irrésistiblement happé par les formes qui se déployaient et les couleurs qui s’étalaient. Aussi, passait- il le plus clair de son temps à observer les gestes de sa mère tissant un tapis, ou à poser son regard ébloui sur les signes portés par les objets usuels et transcrits avec un rare doigté par des artisans dont il ne se lassait pas de contempler la virtuosité. A dix-huit ans, Kacimi avait trouvé sa voie : la peinture. Rien ne l’en distraira, sinon la poésie, perçue non comme une activité distante, mais telle une complémentarité impérieuse.

celle du témoi- gnage. Comment l’art pourrait- il ignorer que nous vivons une époque formi- dable de haines, de guerres, d’in- justices ? Le

Dans la peinture de Kacimi, le corps humain, d’abord invisible ou informel, devient ensuite reconnaissable.

cynisme du constat froid n’étant pas sa tasse de thé, Kacimi a mis sa peinture au service de l’humanité souf- frante. « Peintre de ‘l'infigurable’, son œuvre brise les limites entre abstraction et figuration. Ses peintures qui se caractérisent par les pigments naturels et des poudres denses, noires et colorées, s'accompagnent parfois de fragments de poèmes qui prolongent en un autre mode d'expression les méditations de l'artiste. Kacimi est le fondateur d'un courant de jeunes peintres qui sont à la recherche de nouvelles voies (extrait de la

présentation de l'artiste par l'ambassade de France à Rabat).» Quelques œuvres de ce globe-trotter de la peinture marocaine (1942-2003), où formes, couleurs et matières vont à l’essentiel pour que plénitude et intensité riment avec interrogation et fascina- tion, habillent les cimaises du Comptoir des Mines Galerie. L’exposition, «L'œuvre révé- lée», superbement montrée, savamment montée, a de quoi séduire les amoureux de la peinture. A croquer. ◆

Kacimi a mis sa peinture au service de l’humanité souffrante.

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