FNH N° 1208 (1)

BOURSE & FINANCES

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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 18 SEPTEMBRE 2025

F.N.H. : Pouvons-nous dire qu’aujourd’hui nous assis- tons à une véritable tenta- tive de structuration inté- grée de l’écosystème fin- tech, capable de produire un effet d’entraînement à l’échelle nationale ? S. G. : On peut parler d’une véri- table tentative de structuration. Pas encore d’un édifice achevé, mais d’un chantier qui prend forme avec une logique plus inté- grée qu’auparavant. Le Morocco Fintech Center n’est pas une initia- tive isolée de plus. Il se positionne comme l’espace où banques, régulateurs, startups et investis- seurs cherchent enfin à travail- ler ensemble sur une même pla- teforme. C’est cette volonté de convergence qui marque une dif- férence par rapport au passé. La fragmentation n’a pas disparu pour autant. Beaucoup de pro- jets fintech au Maroc continuent d’évoluer en parallèle, et les règles du jeu ne sont pas toujours claires pour ceux qui veulent innover. Le KYC digital avance à travers quelques expérimentations ban- caires, mais il n’existe pas encore de standard national. L’adhésion au PAPSS ouvre une porte afri- caine, mais nous en sommes encore au stade de l’annonce. Il faudra du temps avant que les PME marocaines voient concrète- ment leurs paiements transfronta- liers s’accélérer. L’essentiel est de voir le signal. Pour la première fois, un effort assumé cherche à mettre en cohérence des initiatives jusque- là dispersées. Et si cet effort est maintenu, il peut produire un effet d’entraînement. Un commerçant qui encaisse en instantané, un étudiant qui paie ses frais sans paperasse, un investisseur qui accède à une IPO via une applica- tion simple. Ces résultats concrets donneront chair à la structuration. Nous sommes donc dans une ten- tative réelle. Elle n’est pas parfaite et pas encore consolidée, mais elle a le mérite d’exister et de poser des rails communs. Le véritable enjeu désormais est de maintenir le rythme et de transformer ces premiers pas en standards visibles et tangibles pour tous. ◆

 Le premier enjeu reste le capital-risque local : tant qu’il demeure timide, l’innovateur marocain cherchera son oxygène financier ailleurs.

d’avoir une IA qui ne comprend pas notre société et qui finit par exclure ceux que nous voulons inclure. Avons-nous les talents ? Oui. Mais ce n’est pas la variable principale. Ce qui manque, c’est un cadre et de la confiance. Une IA ne vit pas dans le vide, elle vit dans les données, et celles-ci touchent à l’intime. Sans garde-fous clairs, on court le risque de braquer l’opinion publique et de nourrir la méfiance plutôt que l’innovation. La voie à suivre consiste à créer des zones d’expérimentation transparentes, avec des cas d’usage concrets. Par exemple, le scoring basé sur les factures d’eau et d’électricité, la détection de fraude en temps réel sur les virements MRE, ou des assistants financiers multilingues accessibles même aux personnes peu alpha- bétisées. À cela s’ajoute une règle simple : aucune donnée sensible ne sort sans anonymisation stricte et contrôle indépendant. C’est ce qui donnera de la légitimité. Le Maroc n’a pas besoin de courir derrière la Silicon Valley. Sa force peut être ailleurs : dans la créa- tion d’une IA de proximité, moins obsédée par la puissance brute mais plus fine dans l’adaptation culturelle et linguistique. Imaginez un modèle qui comprend les sub- tilités de l’arabe dialectal ou de l’amazigh dans une réclamation client. Voilà la différenciation. Nous avons donc les talents et les ressources. Mais si nous voulons jouer un rôle, il faut décider que ce

rôle ne sera pas celui de l’éternel suiveur. L’IA peut devenir un levier économique majeur pour le Maroc, à condition qu’elle soit conçue comme un outil de souveraineté et de confiance, pas comme une simple mode technologique. Au-delà de la technologie, quels sont les enjeux financiers prio- ritaires pour faire émer- ger un écosystème fintech robuste ? F.N.H. : S. G. : On a souvent confondu aider et financer. Distribuer de petits prêts d’honneur ou des sub- ventions symboliques, c’est une bouffée d’air, mais ça ne construit pas une industrie. Ce qu’il faut aujourd’hui, ce sont des finan- cements capables de soutenir le passage à l’échelle. Un prototype, au Maroc, on sait le faire. Ce qui manque, c’est le capital patient qui permet de transformer une idée validée en produit massivement utilisé. Le premier enjeu est donc le capi- tal-risque local. Tant qu’il reste timide, l’innovateur marocain ira chercher ailleurs, à Dubaï, Lagos ou Paris, pour trouver son oxy- gène financier. Et à ce moment-là, le pays perd non seulement un projet mais aussi les emplois, la data et l’impact économique qui vont avec. Le deuxième enjeu est l’impli- cation des grandes institutions. Banques, assurances, caisses de retraite doivent aller au-delà du rôle de partenaires symboliques et

devenir co-investisseurs. Le Kenya ou le Nigeria n’ont pas décollé grâce à des chèques publics, mais parce que les acteurs privés ont parié fort sur leurs premières fin- techs locales. Ici, une banque qui investit dans une startup de paie- ment ne prend pas seulement un risque, elle mise sur sa propre modernisation. Le troisième enjeu est la spécia- lisation. Inutile de financer toutes les startups indistinctement. Il faut des fonds thématiques : fintech, agritech, healthtech. L’argent circule plus facilement quand la thèse est claire. En somme, la priorité financière n’est pas de multiplier les aides symboliques, mais de créer une vraie chaîne de financement. Amorçage solide, capital-risque structuré et relais clairs pour les sorties, qu’il s’agisse d’IPO ou de rachats. Quand la Bourse de Casablanca attire une société comme Akdital, elle prouve qu’il existe une voie locale pour lever massivement. Il faut désormais que ce chemin soit ouvert aux fintechs. Le Maroc n’a pas besoin de beau- coup d’argent dispersé, il a besoin de capital concentré, audacieux et patient. C’est cela qui transfor- mera un écosystème prometteur en industrie durable.

Au Maroc, un prototype, on sait le faire, ce qui manque, c’est le capital patient qui permet de transformer une idée validée en produit massivement utilisé.

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