FNH N° 1082

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CULTURE

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 27 OCTOBRE 2022

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Ali Zaoua Les petits princes de la rue n'ont pas décroché

◆ «Ali Zaoua». A peine a-t-il vu le jour que le film remporta les suffrages de la critique. A juste titre, car cette fable généreuse, tournée avec les enfants de la rue, non seulement satisfait aux exigences de la construction dramatique et de la mise en scène, sans emphase ni fioritures, mais aussi réussit, au-delà de toute expression, à faire vivre les personnages et à embarquer les spectateurs. Interview avec Nabil Ayouch.

caméra, de se mettre ici et là, ou quand ils devaient se déplacer, ils ne devaient pas aller plus loin… Donc, au bout d'un moment, arriver à faire coïncider tout cela, ce n'était pas évident, surtout pour eux. Et en même temps, il fallait qu’ils arrivent à protéger leur naturel, leur vérité. D’ailleurs, c’est pour cette raison que je les ai choisis. Le but n'était pas de les transformer, mais de rester tels qu’ils étaient. F.N.H. : Le film est toujours d'actualité… N. A. : Malheureusement oui ! Je pense que c'est l’une des raisons principales qui m'a poussé à vou- loir ressortir ce film. C’est qu'il est toujours d’actualité, et que j'ai envie que les Marocains ne les oublient pas et se souviennent de ces enfants. Et quand ils les aperçoivent dans la rue ou à côté des feux de circulation, qu'ils apprennent à les voir pour ce qu’ils sont enfin, c’est- à-dire des êtres humains avant tout. F.N.H. : Un remède ? N. A. : C’est qu'ils puissent avoir une prise de conscience collective, du fait que la responsabilité est partagée. Il ne faut pas attendre que ce soit les autorités ou les associa- tions qui fassent le travail. En tant que Marocains, il faut que nous nous disions qu’ «on a tous un rôle à jouer, au fait, dans cette histoire» . Il faut changer notre regard sur eux ! Par exemple, beaucoup de gens fuient ces lieux dits de convivia- lité «infestés» par les vendeurs à la sauvette. Quand je m’arrête dans

Par ailleurs, l'écriture du scénario est inspirée du réel; et le réel - mes rencontres dans la rue - est aussi influencé par l’écriture du scéna- rio, puisque les personnages se construisaient en parallèle. Une fois que j’ai rencontré les quatre jeunes que je voulais avoir dans le film, j'ai commencé, avec l’aide des éducateurs de l’Association Bayti, à travailler avec eux. Nous nous sommes installés dans une grande maison et nous avons commencé le travail sous forme d'ateliers, de manière assez ludique, sur les per- sonnages - ce qu’ils allaient incar- ner. D’un côté, nous avons construit leur projet de vie; c'est-à-dire, ce qu'ils avaient envie de faire après le film. Le film n'était qu'une étape pour passer à la vraie vie. De fait, avec le salaire qu'ils avaient perçu dans le film, ils devaient échafauder leur projet de vie. Cela faisait aussi partie du travail préparatoire. F.N.H. : C'était difficile de travailler avec eux ? N. A. : Oui, ce n’était pas évident, parce que ce sont des enfants habitués à une liberté totale; dans le sens où, dans la rue, ils font ce qu’ils veulent. Ils n'ont pas de règles. Avec «Ali Zaoua», je les ai fait passer d'un monde de liberté totale à un monde où il n'y a que des contraintes. F.N.H. : Un monde structu- ré… N. A. : Dans le monde du cinéma, il y a des règles à suivre : nous leur demandions de ne pas regarder la

Propos recueillis par R. K. Houdaïfa

Finances News Hebdo : Beaucoup de gens s’ac- cordent à dire qu’«Ali Zaoua» est votre premier grand suc- cès cinématographique. Est- ce vrai ? Nabil Ayouch : Disons qu’il y avait quand même «Mektoub», un long- métrage qui a plutôt très bien mar- ché au Maroc comme à l’internatio- nal; il a eu de beaux échos et a rem- pli pas mal de salles. «Ali Zaoua», lui, est arrivé après et c’est vrai que l’accueil fut encore plus grand. F.N.H. : Rappelez-nous com- ment s'est passée l'éla- boration du scénario avec Youssef Fadel. Comment avez-vous travaillé avec les enfants, d’autant plus qu’ils n'ont jamais été confrontés à l’épreuve de la caméra…? N. A. : Le scénario n'a pas été écrit par Youssef Fadel. Ce dernier a fait l’adaptation des dialogues (du fran- çais vers la darija). En revanche, le scénario je l’ai écrit avec ma coscé- nariste Nathalie Saugeon. Quant au travail, il s’est fait pendant à peu près deux ans et des pous- sières. Il eut de l’investigation et de la recherche dans la rue à travers tout le Royaume, à la façon d'un anthropologue ou d'un sociologue, pour essayer de comprendre les raisons qui peuvent pousser les enfants à sortir de chez eux et connaître tout ceux qui vivent dans la rue; c’est-à-dire «qu’est-ce que c’était la vie dans la rue pour eux ?».

un feu, je baisse systématiquement la vitre et je parle avec eux. Un jour, une vieille dame m’avait dit: «tu sais mon fils, le fait d’avoir baissé ta vitre et de m’avoir causé, c’est comme si tu m’avais donné un énorme cadeau. Tu achètes ou pas, l’essentiel c’est que tu as baissé ta vitre et tu m’as parlé». Déjà, il faut commencer par ça ! F.N.H. : Une anecdote mar- rante de tournage ? N. A. : Il y en avait eu beaucoup, mais je vous raconterai une qui est à la fois marrante et pas marrante: lorsqu’on a commencé à tour- ner, il y a eu cette rencontre entre Kwita et la jeune lycéenne dont il tombera amoureux dans le film. A un moment, il est vraiment tombé amoureux d'elle; dans la vraie vie ! Il s’asseyait, mangeait, papotait avec elle… Nous avions vite compris qu’elle lui plaisait. Quand nous tournions la scène où il devait lui remettre un collier fait de coquillage, près de la coupole «Kora Ardia», il voulut l’impressionner. Il lui a dit «chouf chouf ! (regarde, regarde !)» et a sauté par-dessus les escaliers. Il s’est cassé la jambe, car il ne savait pas que derrière lui, c'était vide. On a dû arrêter le tour- nage pendant au moins un mois et demi. ◆

En tant que Marocains, il faut que nous nous disions qu’«on a tous un rôle à jouer, au fait, dans cette histoire».

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