FNH N° 1096

C ULTURE

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FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 16 FÉVRIER 2023

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Musique

◆ Draganov (re)troque sa casquette de beatmaker ultra-référencé pour celle de chanteur à texte (comme on disait autrefois) et revient avec un projet cathartique, expérimental et à l’ambiance très cinématographique. De la douceur à revendre

U n chanteur qui s'est tellement battu pour réussir ne peut faire autrement que de chan- ter le thème de ses espoirs et désespoirs, le labeur et les efforts. Cliché plein de sens concernant Draganov (Adnan Mahyou dans le civil) et Wili : un titre mélancolique, à l’image du personnage qui semble se dessiner. Donnant l'impression de porter le monde (un lourd fardeau), la performance émo- tionnelle de l’acteur Said Bey au milieu de la nature (un décor susceptible de stimuler l’inconscient) et l’esthétique de la vidéo n’est pas sans rappeler la dualité ainsi que les questionnements sur lesquels Draga s’appuie dans son texte. A l’image d’un appel au spleen, il rappe, scande, chante une poésie à fleur de peau de sa voix charbonneuse et nonchalante, légèrement (et agréa- blement) autotunée. Dans cet intime et revanchard titre, des mélodies paisibles, basses rondes, beats feutrées, snare pointilliste et arrangements subtils…, une souplesse stylistique, quoi ! De quoi se perdre dans de nouvelles images mentales à la lisière du rêve. Cri du cœur Soit. C’est bien la voix plus profonde que jamais (et toujours à l’aise en nar- ration), au service de paroles très per- sonnelles de ce rappeur Oujdi, qui fait tout le sel de Wili . Rares sont ceux qui déclarent qu’ils voudraient « changer [leur] époque » ou confient leurs peines avec détachement. Inhabituel et pro- metteur. Le morceau est purement lyrique. Bâti à partir de la locution « Wili ! » qui sert à exprimer tantôt l’étonnement, tantôt la Par R. K. Houdaïfa

Extrait du clip «Wili», de Draganov. (Photo DR)

stupéfaction ou l’enthousiasme, mais aussi la déception. Les mots manquent pour exprimer ce que l’on ressent face à l’indicible, ici la beauté et la dureté de la vie. Les termes et expressions lyriques renvoient au sentiment de culpabili- té, parfois à la nécessité de changer (« La khsert ghadi ndouz l’haja khra, w’c'est normal »). Il y a aussi l’idée de la confiance en soi (« Matsenach mn l’vida sada9a / matkhelich 3douk i9tol fik l7araka »), du désir de percer, même lorsqu’on n’en a plus la force (« Wakha fia lmout ghadi nzid mélodie / ana w’mz- zika c'est presque érotique »); une cri- tique sociale des amis (« Wzent rejla f’sahbi w’mal9it ta gramme »), ou d’une situation précaire («rappit 3el jou3 kan l bedo vide»). On y trouve également les envies certaines que nous partageons tous (« Kna bghina lmoula bghina ntiro vite »), le travail d'arrache-pied (« Wdehka dyal daba 3sert 3liha zit »), le deuil éter- nel (« W’ana l9dim mazal fih mat3azit »)…

La vie est un enfer… mais quoique, elle est belle ! Bref, une écriture personnelle remar- quable sublimée par une musique qui impacte, dans laquelle on sent sa nécessité de dire, une énergie vive… une énergie rap ?! De l’ébouriffante entrée qui donne le ton jusqu’à la conclusion, aussi convaincant quand il s’emporte – « Brodi rah jebtha 7alal kali khiri ya / ndaber k*** f’massiri / mgherghar w’dem3a wa7la west mn 3ini » – que lorsqu’il montre sa vulnéra- bilité (« Ma 9ad nedwi, ma 9ad nsog, ma 9ad nw9ef / ma 9ad nbki, ma 9ad ndhek, ma 9ad nwsef / w’rebi khlef li 3tani 3echran mn dhab »), le rappeur rappelle à tous ses suiveurs qu’il est aussi et sur- tout artiste. Le verbe est facile, la mélo- die obsédante; c’est le parfait cocktail pour que la chanson résonne facilement dans nos esprits. Après le titre intros- pectif, Forsa , Wili sera sans doute le morceau le plus consommé ces jours-ci, sans jamais s’en lasser. ◆

Le verbe est facile, la mélo- die obsédante; c’est le parfait cocktail pour que la chanson résonne facile- ment dans nos esprits.

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