Finances News Hebdo N° 1068

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BOURSE & FINANCES

JEUDI 9 JUIN 2022 FINANCES NEWS HEBDO

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Il est temps de réguler les cryptomonnaies L a cryptomonnaie est le sujet qui divise de façon profonde la com- munauté financière, avec ceux qui y croient, et ceux qui n’y voient aucun intérêt. Les détrac- Par Omar Fassal *

teurs des cryptomonnaies ne sont pas des moindres. Dernière intervention en date, celle de Christine Lagarde, ancienne Directrice générale du FMI et aujourd’hui à la tête de la Banque centrale européenne, qui a déclaré : «Ma très humble opinion est que les cryptoactifs ne valent rien. Ils ne sont basés sur rien, ils ne se rattachent à aucun actif sous-jacent qui pourrait apporter de la sécurité» . Anecdote amu- sante : Christine Lagarde a avoué que son propre fils détenait de la cryptomonnaie ! Faut-il y voir un conflit de génération, ou rien de plus qu’une drôle de coïncidence ? Toujours est-il que les cryptomonnaies ont connu une année difficile. Le Bitcoin, la star d’entre tous, est passé de 67.000 dollars en novembre 2021 à 29.300 dollars. Même les Stablecoins, qui sont des cryp- tomonnaies adossées à des actifs tan- gibles (généralement du Dollar, de l’Euro ou de l’or) pour réduire leur volatilité, ont connu une année difficile. Le Terra – qui est censé resté stable face au Dollar – a craqué. En raison de ventes trop impor- tantes, son cours s’est effondré à 0,02 dollar ! La situation actuelle sur les cryptomon- naies rappelle plusieurs dérives observées lors de la crise de 1929. On reproche aux cryptomonnaies, et surtout aux Bourses où elles s’échangent (les principales sont Coinbase, Binance, Kraken, Gemini et FTX) de pratiquer de la publicité men- songère. Début avril, quelques semaines avant le krach de la monnaie Terra, la Bourse Binance envoyait une publicité à ses clients faisant la promotion de cette monnaie, en promettant un rendement annuel de 20% et, surtout, en la décrivant comme une opportunité d’investissement «sûre et heureuse» ! Cela rappelle les nombreuses publicités mensongères qui circulaient pendant les années 1920 aux Etats-Unis lors de ce qu’on a appelé les vingt rugissantes (the Roaring Twenties). Avec l’introduction en Bourse d’entre- prises révolutionnaires dans le secteur de la radio, de l’automobile et de l’aviation,

les particuliers se ruent sur ces IPO pour espérer des gains rapides. Les courtiers envoient aux clients des publicités men- songères, avec des promesses de rende- ment pharaoniques, qui ne valent pas plus que l’encre avec lequel elles sont écrites. Tout comme en 1929, l’effet de levier joue un rôle de carburant qui enflamme les crises. En 1929, l’effet de levier accordé par les courtiers aux clients atteint des sommets. Pendant les années 20, l’effet de levier autorisé était de 10. C’est-à-dire que pour acheter une action à 10$, vous payez seulement 1$ et empruntez les 9 autres. Là aussi, on peut trouver une analogie : certaines Bourses acceptent de prêter avec un effet de levier aux clients pour qu’ils achètent des cryptomonnaies, ce qui introduit des risques importants en cas de panique. Autre exemple du côté des entreprises, qui font des prêts de cryptomonnaies. Certaines acceptent de prêter des cryptomonnaies contre du col- latéral, mais certaines vont plus loin : elles acceptent de prêter des liquidités contre un collatéral fait de cryptomonnaie. Celles- ci représentent naturellement un risque plus important, en cas de baisse de la valeur de la cryptomonnaie. Ces dernières le font avec des Stablecoins censés être stables, mais on a bien vu avec le Terra que même les Stablecoins n’étaient pas à l’abri d’une baisse. Enfin, la gestion des réserves est un point important, si ce n’est le plus important. Les deux plus grands Stablecoins au monde,

le Tether et l’USD Coin, promettent une contrepartie en Dollar. C’est là leur rai- son d’être, et le début des controverses. En 2017, un dénonciateur mystérieux a accusé Tether de ne pas détenir autant de Dollars pour chaque unité de cryp- tomonnaie créée. Des investisseurs ont porté plainte, et le procureur de New York a ouvert une enquête. A la fin, Tether (ou sa société-mère plus précisément) a conclu un accord à l'amiable sans avouer ses abus. Désormais, elle précise qu’elle détient les réserves «en Dollars et en équi- valents financiers» ; entendez par là des prêts aux entreprises, a priori du papier commercial. La société s’est transformée en une sorte de banque : elle récolte de vrais Dollars, crée des dépôts privés digitaux (dénommés Tether) qu’elle remet à ses clients, et investit les Dollars pour récolter un rendement. Même son de cloche du côté du second Stablecoin du marché. La société de l’USD Coin promettait auparavant que sa mon- naie était «backée par des Dollars» : elle promet désormais qu’elle est backée par «des actifs de réserves», et parle même «d’investissements approuvés». Tout comme Tether, elles ont eu la même ten- tation qu’ont eu les orfèvres anglais au XVIIème siècle qui ont créé les premières banques à réserves fractionnaires : comme personne ne vérifie combien de réserves d’or (ou de Dollars aujourd’hui) il y a dans le coffre, on peut les investir entre-temps pour en récolter un rendement.

On reproche aux crypto- monnaies, et surtout aux Bourses où elles s’échangent de pratiquer de la publicité mensongère.

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