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POLITIQUE

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 30 JUILLET 2020

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M. S. : La Constitution de 2011 a constitué de grandes avancées : un chef de gouvernement issu des urnes, un exécutif avec des attributions élargies, la constitutionnalisation des pouvoirs du Roi, des instances de concertation et de bonne gouvernance, un bloc d'une vingtaine d'articles dans le préambule sur les droits et libertés. Mais la pratique institutionnelle depuis neuf ans a-t-elle permis de consolider ces acquis consacrés dans le texte constitutionnel ? Le mode de fonctionne- ment et de gouvernance a-t-il permis de pousser dans ce sens ? Même deux conseillers du Roi, voici six mois, ont convenu qu'on est dans le trajet d'une monarchie parlementaire « avec peut- être certaines dispositions à perfectionner » ... Pourtant, la Constitution précise que le Maroc est une «monarchie parlementaire» (art.1). Quels facteurs ont freiné ce basculement ? Après dix ans de monarchie exécutive (2001-2011), une certaine gouvernance freine-t-elle un processus de consolidation de la transition démocratique par l'instauration d'une véritable monarchie par- lementaire ? Cela dit, le «nouvel autoritarisme gestionnaire» évoqué par des auteurs n'est pas à écarter. Qui décide ? Qui arrête les grands chantiers ? Qui priorise les réformes ? Et qui les accompagne par des impulsions, des recadrages et le cas échéant sanctionne les responsables publics chargés de leur mise en œuvre ? C'est le Roi ! Mais pour- quoi le système fonctionne-t-il ainsi alors que les acteurs ont des responsabilités et des mandats tant au niveau national que local ? De fortes pesanteurs culturelles et politiques poussent certainement dans ce sens, lesquelles font une large place encore à un principe pré- gnant de verticalité. L'interventionnisme et l'auto- ritarisme sont nécessaires parce que les acteurs institutionnels sont défaillants... Une équation fermée qui ne permet pas d'intégrer un cercle vertueux où ceux-ci assumeraient la plénitude de leurs attributions. En somme, c'est le primat d'une régulation arbitrale et s'il y a lieu décision- naire : elle fonctionne dans le système partisan - on l'a évoqué -, mais aussi dans le système étatique et ses multiples démultiplications dans le secteur public et semi-public. Il y a effectivement, à un premier niveau d’ana- lyse, un temps long et un temps court dans la vie politique nationale. Le temps long est celui de la monarchie, du règne; le temps court, lui, relève du calendrier électoral, législatif, lié à une mandature. La marge d'action d'un gouverne- ment est-elle limitée parce qu'elle s'insère dans une législature de cinq ans comme c'est le cas aujourd'hui ? Ce n'est pas évident. En 2020, y a-t-il de nouveaux termes de référence quant à la latitude d'action du gouvernement ? Tout paraît se passer comme s'il y avait une

Des «résis- tances» de divers ordres arrivent à freiner, voire à empêcher les réformes initiées par le Roi.

double grille de lecture et d'évaluation. La pre- mière a trait à l'action royale, la seconde regarde le gouvernement. Les grands chantiers struc- turants ont été entrepris par le Souverain. Mais a-t-on doté l'Etat des moyens et des leviers effi- cients pour assurer l'optimisation des politiques publiques d'une année sur l'autre ? F.N.H. : Plusieurs acteurs et observa- teurs estiment que le système politique actuel a pris un sérieux coup de vieux; les citoyens n’ont pas confiance dans les partis ni dans les institutions. Faut-il mener des réformes à ce niveau ? M. S. : C'est vrai : la désaffection est certaine à l'endroit des partis politiques. Plusieurs facteurs cumulatifs poussent dans ce sens. Le premier a trait à l'insuffisance de l'encadrement qui se véri- fie chez les jeunes, les femmes et dans d'autres forces vives. Une enquête du HCP, il y a quelques années, donne des indications significatives à cet égard. L'on ne compte ainsi que 1% des jeunes qui ont une carte d'adhésion à des partis. Ce phénomène se prolonge d'ailleurs dans le milieu associatif - censé être plus attractif - où les jeunes ne constituent que 4% des effectifs. Pourquoi une telle situation ? Intervient ici un autre facteur : l'offre partisane. Celle-ci est sans doute plurielle et on peut ici distinguer entre celle faite par des partis progressistes (USFP, PPS, PSU et FGD) et celle des partis dits «admi- nistratifs» (RNI, UC, MP et PAM). Les parcours historiques et militants des premiers les rendent- ils pour autant plus attractifs par rapport aux seconds ? C'est une question. Un autre facteur doit être mis en relief : il porte sur la nature et la portée de l'action politique. Celle-ci pèse-t-elle réellement dans l'élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques ? Par-delà le cadre institutionnel en place (parlement, gou- vernement, secteur public ou semi-public...), les

véritables centres de décision ne sont-ils pas ail- leurs, là où le contrôle démocratique fait défaut ? Référence est faite notamment à des centres de fait de grands groupes privés et la technostruc- ture qui ont la haute main sur la vie économique nationale… Si bien que le désintérêt des citoyens est sans doute l'illustration de ceci : en l'état, avec une telle pratique, l'action politique est peu produc- tive; elle n'est pas un vecteur ni un levier de changement. D'où des dynamiques sociales de changement, parfois sous forme contestataire, hors du champ institué (hirak, Jerada, boycott,...), lesquelles traduisent de la vitalisation de mobili- sations d'«en bas»... Il faut faire référence à la place et au rôle des élections; elle peut être alors entendue comme le surdimensionnement du scrutin dans la vie politique. Il est vrai que de ce point de vue, l'on peut se demander si la finalité première des par- tis - ou à tout le moins de la majorité d'entre eux - n'est pas de «faire du chiffre» lors des élections. Cette quête d'un chiffrage, en amont donc, ne se fait pas dans des conditions sincères et régu- lières. Deux facteurs différents sont décisifs à cet égard : l'intervention de l'administration sous des formes diverses et l'achat de voix avec de l'argent, qualifié souvent de «sale»… C'est dans ce sens-là, me semble-t-il, que l'élec- tion, qui est pourtant l'expression la plus achevée de la démocratie et donc de la citoyenneté, ne permet pas vraiment - et c'est un paradoxe - de consolider la construction démocratique. Les citoyens ne l'ignorent pas avec un modeste taux de participation de 43% au scrutin législatif du 7 octobre 2016 pour 15.700.000 électeurs inscrits. Ce palier ne va-t-il pas se retrouver en 2021 ? L'état des lieux aujourd'hui permet-il d'écar- ter cette interrogation ? Il ne faut pas minorer le sens et la portée du vote et des élections; la démocratie c'est le vote libre ! Pour autant,

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