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JEUDI 8 OCTOBRE 2020 FINANCES NEWS HEBDO
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Exposition
◆ Artiste radical, peintre errant et incontestablement mejdoub : Jilali Gharbaoui est l’une des figures originales de l’abstraction au Maroc. Son œuvre d’explorateur fou du «for intérieur» est exposée actuellement au Musée Mohammed VI de Rabat. Jilali Gharbaoui, la rage de peindre A u champ-de-Mars, par un matin léger, on découvrit, sur un banc, le cadavre de Gharbaoui. Il avait Par R. K. Houdïfa
Jilali Gharbaoui : «Mon travail personnel a toujours été un effort de dépasse- ment».
constamment été un être en sur- sis qui sentait en lui la mort battre la chamade. Par facétie, il choisit, pour faire le grand saut, un jardin, autrement dit un lieu propice à la sociabilité, à la coprésence, aux rencontres. Se libérer, dans un espace public, d’une existence qu’il était malhabile à ordonner, tel est le pied de nez fait par Gharbaoui à une société qu’il jugeait oppressante. C’était en 1971. Quand les circonstances de sa disparition firent le tour des chau- mières, il se mua prestement en parangon du peintre maudit. Sa vie suscita des récits, souvent fantaisistes, de misère, de délire et solitude, truffés de surenchères et de malentendus. En somme, Gharbaoui devint un mythe. Blessé Né en 1930 à Jorf El Melh (près de Sidi Kacem), Gharbaoui n’a pas été épargné par le destin. Il subit une enfance malheureuse marquée par la perte précoce de ses deux parents. Devenu orphe- lin très jeune, abusé sexuelle- ment par un membre direct de sa famille, il n’aura de cesse de rechercher tout au long de sa vie un refuge susceptible de calmer ses angoisses. Les actes violents et inqualifiables se sont impri- més à jamais dans la mémoire du peintre. Très tôt attiré par le pinceau, Gharbaoui se mit à peindre avec ferveur et talent, fougue et abnéga-
tient une juste résonnance avec son mal de vivre. Amertume, détresse, indifférence et mépris, souvent de classe… la vie personnelle du peintre est traversée par de fréquentes crises d’angoisse, de dépression qui l’obligent à effectuer plusieurs séjours dans des hôpitaux psy- chiatriques. La seule qu’il ait considéré comme salvatrice était la peinture. C’est pourquoi, ce proscrit du bonheur mettait cœur et tripes dans ses tableaux. Virtuose du pinceau, il sortait de ses manches autant de morceaux de bravoure qu’il le désirait. Seule la mort l’arracha à l’objet de son culte. Epuisé par son angoisse exis- tentielle et sa dipsomanie, il est retrouvé mort à l’âge de 41 ans, par un petit matin guilleret, sur un banc public parisien. Fin glaciale d’un destin tourmenté. ◆ «Gharbaoui : L’envol des racines», jusqu’au 8 février 2021, Musée Mohammed VI d'art moderne et contemporain, Rabat.
1957. Gharbaoui lui-même avait déclaré que ses premiers dessins dataient de 1952. Il brûla les étapes et touche à plu- sieurs aspects de l’expression- nisme abstrait et à plusieurs tech- niques : encre de chine, aquarelle, peinture à l’huile, matière faite de sable et de plâtre sont employées sur des surfaces travaillées au pinceau, parfois aux doigts ou gravées par des objets pointus. Il aurait réalisé aussi des sculp- tures. Insondable L’œuvre de Gharbaoui est indé- chiffrable, au premier abord. Si ses tableaux étaient des poèmes, ils porteraient dignement le titre baudelairien d’«Invitation au voyage», car lyrique dans sa fac- ture. Fiévreux, impatient, il était absor- bé dans des ailleurs lointains, d’où il ne s’extirpe que pour vaquer à sa préoccupation vitale : la pein- ture. Sa vie personnelle est insé- parable de son art : la tension qui se dégage de ses œuvres entre-
tion. Après des études à Fès, Jilali Gharbaoui obtient en 1952 une bourse pour l’Ecole des Beaux- Arts de Paris. Il rencontre et se lie d’amitié avec Pierre Restany et Henri Michaux. Il séjourne en 1958 à Rome, puis rentre à Rabat. Après une courte période d’ex- pressionnisme, il s’achemine vers la peinture informelle. A partir de 1952, il commence à peindre des tableaux non figuratifs. Dès lors, il s’exprime pleinement par une gestuelle et un tracé ner- veux qui appellent dramatique- ment à la vie. Une œuvre riche, inépuisable… immergée dans une lumière éblouissante. Voulant s’affranchir du géométrisme dominant et élaborer une peinture dynamique, vivante, baignée de soleil, Gharbaoui constitua une violente rupture avec la produc- tion de l’époque. D’après les éléments connus, Jilali Gharbaoui semble être le premier peintre abstrait marocain. Selon le témoignage de Gaston Diehl, il aurait peint ses premières toiles «informelles» entre 1953 et
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