FNH N° 1049

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JEUDI 6 JANVIER 2022 FINANCES NEWS HEBDO

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Opinions

◆ Philippe Guiguet Bologne, poète et écrivain, s’est depuis longtemps exalté pour les attraits de Tanger. Il les décline ici avec une gourman- dise flatteuse. Tanger en ses temps

grands empires coloniaux, et ne pouvait pas durer. Tanger a souvent été d’un autre temps. C’est sans doute par cette exceptionnalité, son carac- tère inclassable et dont le contrôle a toujours plus ou moins échappé aux pou- voirs - probablement l’air du détroit et la vue sur l’Espagne sont-ils pour quelque chose dans cette indiscipline - que Tanger a toujours été chérie par les artistes. Jean Genet et Paul Morand ne l’aimaient pas, la trouvant trop vénale, clinquante et provinciale à la fois. Mais Delacroix y a fondé le romantisme en pein- ture et Matisse sa modernité. Francis Bacon a aimé venir s’y fracasser, au cours de nuits d’amour et de scènes de ménage avec son amant et ses fameuses saouleries au Dean’s maintenant fermé.

L ongtemps, Tanger a été une ville à part, et c’est bien ce qui faisait son charme. À part de l’empire chérifien, échappant dès la fin du XVIII ème siècle à l’auto- rité des sultans pour, lente- ment mais assurément, suc- comber au chant des sirènes des diplomates qui allaient, à force de ruse, lui conférer son fameux statut interna- tional, unique dans l’histoire des sociétés humaines. Un petit paradis pour les riches investisseurs occidentaux, pour les boursicoteurs, pour les espions et pour toutes les minorités, habituellement persécutées et qui, ici, trou- vaient une politique libérale parfaite pour leur épanouis- sement. Mais tout cela était bien artificiel, à la traîne des Par P. G. B.

Tahar Benjelloun demeure le premier ambassadeur de la cité, et Mohamed Choukri en est l’âme et le cœur.

Mais c’est aussi là que la peinture marocaine a pris racine, quand Ben Ali R’bati s’installa dans la cité du cher- gui, dès sa jeunesse, quand Ahmed Yacoubi y fut confor- té dans son art par Francis Bacon et Paul Bowles, dont Mohamed Hamri aussi fut un épigone. L’ambiance était propice à la naissance de telles vocations. Des musées ouvrent aujourd’hui à chaque coin de rue, de l’ancienne prison de la Kasbah magni- fiquement restaurée à la Villa Harris transformée en luxueuse salle d’exposition permanente d’une étrange collection, de Dar Niaba à l’ancienne gare ou l’ancienne conservation foncière, qui attendent encore leur nou- velle vocation. Les galeries privées tirent ces nouveaux marchés vers le haut, grâce à des politiques exigeantes (Gallery Kent, Medina Art Gallery, le Cercle des arts et Dar d’art à leur tête), quand les instituts étrangers, qui

longtemps ont fait la poli- tique culturelle de la ville, sont maintenant plus à la traîne. Quant aux écrivains, ils continuent de raffoler de la ville et y séjournent régul ièrement. Tahar Benjelloun demeure le pre- mier ambassadeur de la cité, et Mohamed Choukri en est l’âme et le cœur. Bien évi- demment, Paul Bowles reste la tierce figure de Tanger, qui attira dans son exil William Burroughs et toute la Beat generation, puis ensuite Daniel Rondeau et Rodrigo rey Rosa, quand Truman Capote ou Tennessee Williams suivaient les par- cours mondains de leur époque. Mais on venait à Tanger car la ville était désuète, aux abords d’une campagne somptueuse et au cœur d’un monde bucolique, aujourd’hui bien perdus. Tel un Phénix Sans doute est-ce aussi pour cela que Tanger est

Paul Bowles à Tanger, en 1989

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