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DU 26/27/28/29/30 MARS 2020 FINANCES NEWS HEBDO

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Arts plastiques Ce que la peinture doit aux femmes ◆ Depuis longtemps, l’art a été le pré-carré des hommes. Et ce n’est qu’au mitan du siècle dernier que les femmes ont pu forcer cette porte impénétrable. Timidement, du reste. Radioscopie.

et Fatna est le résultat d’un long contact, celle de Chaïbia est le fruit d’un songe et d’une voix la sommant de peindre. C’est ainsi que son existence douil- lette et champêtre a basculé vers une autre, inconfortable et tourmentée, puis fut la pre- mière femme à débouler de sa cambrouse inculte pour fécon- der les cimaises hantées par les hommes. Avec une réussite telle que beaucoup de ses con- génères, apparemment sans armes et sans bagages, n’ont pas hésité à marcher sur ses brisées. Les plus connues s’appellent : Fatima Hassan Farrouj, Benhila Regraguia, Taoufa El Aharah, Zahra Imigi. Les voies de l’art sont impénétrables. Elles le pénètrent sans viatique, par des chemins de traverse. Ne pouvant se targuer d’une quel- conque fréquentation préalable des grandes écoles et pour avoir forgé un style convenu, ces dames se sont vu affubler de la condescendante étiquette de «naïf». Ce qui revient à considérer leur art comme une sorte de degré zéro de la peinture. Toutes ont en commun d’être auto- didactes, d’enraciner néan- moins leur désir dans un genre qu’on baptise, faute de nom plus approprié, «naïf» et d’êtres venues à l’art par des voies insolites : Regraguia parce qu’elle est possédée par les djins et qu’elle doit les exorci-

ser… Si l’on s’est attardé sur ces peintres, c’est d’abord en rai- son de leur improbable destin, ensuite parce qu’elles sont les porteuses au grand cœur d’un art singulier qui a permis à la peinture contemporaine maro- caine de franchir allègrement les frontières. Les corps surdi- mensionnés de Chaïbia, les sil- houettes écorchées de Fatima ou les personnages hauts en couleur de Fatna s’arrachent à prix d’or par les collectionneurs. Une entrée féconde Cependant, il n’y a pas lieu de confiner toutes les femmes dans la peinture naïve. Une kyrielle de femmes emboîtent le pas à ces pionnières, sans toutefois marcher sur leurs bri- sées, histoire de montrer que la «naïveté» n’est pas inscrite dans les gènes féminins. Elles sont pour la plupart issues d’écoles des beaux-arts, nour- ries au lait de la peinture et de souche citadine. L’orientalisme n’étant pas leur tasse de thé, la figuration leur semble ap- propriée aux messages qu’elles désirent transmettre. Ahlam Lemseffer, dont l’engagement humanitaire est connu, privilé- gie les thèmes de la paix et de la nature dans tout ce qu’elle a de beau-sublime. Privilégiant les grands formats, elle donne libre cours à son énergie, et offre à ses toiles des composi- tions florissantes en matières,

Par R. K. Houdaifa (Stagiaire)

I l y a un peu plus d’un demi-siècle, la femme marocaine a décidé de se faire voir en peinture. Elle y est entrée avec ferveur, comme on entre en religion. Figure de proue de cette incur- sion des femmes dans un champ taillé sur-mesure pour les hommes : Meriem Meziane. Fille d’un Maréchal et élevée dans un milieu porté par la peinture, elle se met préco- cement à manier les pinceaux dans un registre orientaliste. Éclosion Quand la brèche s’est ouverte, trois d’entre celles qui vont s’y engouffrer (Chaïbia Tallal, Radia Bent Lhoucine et Fatna Gbouri) descendent d’un tout autre monde que celui d’où vient Meriem Meziane. Un monde où l’on s’occupe de traire les vaches plutôt que de savourer la mélancolie des paysages. Elles déboulent de la cambrousse, respectivement de Tnine Chtouka, Douar Oulad Youssef et Tnin Gharbia. Radia, c’est en contemplant sans cesse son fils à l’ouvrage, le peintre Miloud Labied, qu’elle attrape le virus de l’art. Ahmed Mijdaoui tint sa mère Fatna alors qu’elle était déjà sexagénaire, sur les fonts bap- tismaux de l’art pictural. Si l’entrée en peinture de Radia

couleurs et éclaboussures où se déploient arabesques fou- gueuses et explosions colorées. Khadija Tnana, féministe ardente, métaphorise la condi- tion des femmes au Maroc. Pour elle, l’acte de peindre n’est pas une activité ludique ou un plaisir gratuit, mais un geste de résistance contre les formes d’asservissement. Najia Mehadji par son trai- tement du floral, insiste sur le métissage des cultures et appelle à leur dialogue. Elle allie dans un seul et même geste scripteur lignes et couleurs : le tracé qui dessine la forme est le même qui en définit l’extension colorée. Mais il ne sera pas dit que les femmes laisseront longtemps l’apanage du genre à leurs pairs masculins. Quelques- unes ont choisi les chemins de l’abstraction. Auxquels répondent, à la fin des seven- ties, Malika Agueznay qui fran- chit le Rubicon avec un motif

qui ressemble à une algue…et n’en est pas une. Deux figures résolues et dont l’art troublant émerge par la suite. L’une, Amina Benbouchta qui révolu- tionna l’abstraction marocaine avec son foisonnement de signes dérobant, son ascétisme délibéré et son minimalisme intrigant. L’autre, Meryem El Alj, joue sur les partitions du figuratif et de l’abstrait pour asséner à nos regards la condi- tion humaine. Vu leur nombre insignifiant à cette époque, elles étaient rarement sollicitées. Tandis que leurs analogues masculins enchaînent parfois en rime sans raison, expo sur expo, elles dis- tendent l’intervalle entre la leur. Non par paresse, mais plutôt par souci de la perfection. Contentons-nous de citer quelques noms qui fleurent bon la beauté des toiles : Zahra Jmiji, Cherifa Grosse, Latifa Toujani, Nariman Alaoui, Wafaa Mezouar, Rim Laâbi, Rabia

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